« Rockfarmers » : mi-rockeurs, mi-fermiers. Les 2 doux dingues de The Inspector Cluzo ont choisi de mener de front retour à la terre dans leur ferme gasconne et tournées aux 4 coins de la planète. Propos recueillis par Flavien Giraud
« On n’est pas des hippies », tiennent à préciser les 2 mousquetaires gascons. En revanche l’approche do it yourself
est revendiquée, et les 2 compères font de la musique comme des fermiers et vice-versa : les pieds profondément ancrés dans la terre. Empruntant au blues et au hard rock, leur formule guitare-batterie
à haute énergie leur vaut encore les habituelles comparaisons aux Whites Stripes et aux Black Keys. Mais lorsqu’ils ne sont pas en tournée (800 concerts au compteur, 44 pays traversés), Laurent Lacrouts (chant, guitare) et Mathieu Mathieu Jourdian (batterie) travaillent d’arrache-pied dans leur ferme à Eyres-Moncube dans les Landes, au Sud de Mont-de-Marsan, où ils produisent du foie gras d’oie artisanal. « On est en pleine période d’éclosion, il y a des oisons qui sont nées derrière la table de mixage. Attends, écoute ! »
Vos débuts...
Laurent Lacrouts : On a démarré en 2008, à la fin de Wolfunkind, un groupe de copains de lycée où on était 8. Pour la petite histoire on avait changé 4 fois de bassiste (leur label s’appelle Fuckthebassplayer. Ndr), et jouer tous les 2, avec Mat, s’est imposé tout simplement. Ensuite s’est posée la question de remplir l’espace sonore dans le grave, mais sans utilisation de machine, sans triche, c’est important pour nous : ne pas mentir au public par des artifices, que ce soit avec des ordinateurs ou des pédales d’Octaver qui te quadruplent le truc ! On a 4 mains, il faut se démerder. La formule guitare-batterie, il y en a des milliards, pour que ça devienne un groupe, c’est un énorme travail : ça tourne vite dans une histoire de riffs... Dans le rugby qu’on aime tant, il y a le proverbe « no scrum, no win » (pas de mêlée, pas de victoire) : pour nous c’est «No song, no band». On est dans le less is more, à l’américaine, et il faut que la compo défonce.
Tout a commencé au Japon... Notre premier EP est parti par accident au Japon, par l’intermédiaire d’un pote, le chanteur de Fishbone (Angelo Moore), c’est notre parrain, c’est lui qui a trouvé le nom du groupe. On a reçu un coup de fil d’un tout petit label japonais : le gars était au taquet ! On a joué
au festival Fuji Rock, et c’est revenu par ricochet en France, où les choses mettent longtemps à se déclencher...
En 2013, vous avez fait le pari
de racheter une ferme, quel
a été le déclencheur ?
C’est quelque chose de citoyen, je n’aime pas le mot militant. On a eu la chance avec le groupe de beaucoup voyager pendant les quatre premières années : Chine, Corée, Philippines, Afrique du Sud, on a vu ce que faisait la mondialisation économique ! On a vu partout que c’était la folie... Passer par l’autonomie alimentaire, ça paraissait fondamental.
Vous restez attachés à votre fief, Mont-de-Marsan, et à votre culture locale... C’est le Sud-Ouest. On a une vie
sociale assez accomplie, qui nous permet aussi de nous protéger du milieu de la musique qui est un milieu méchant, et toxique pour l’artistique. On est très bien là où on est, avec des gens extraordinaires, qui ont une vraie philosophie...
En plus de la ferme, vous
contrôlez tout de A à Z : label, management, booking...
On a une structure hallucinante pour notre époque : on s’autofinance à
100 %, label, management, booking
et la ferme, qui fait aussi partie du processus puisqu’on se fait à manger. Demain, on va vendre nos confits au marché de Mont-de-Marsan et le peu d’argent qui rentre, ce n’est pas grand-chose, mais ça paie des flyers... On parvient à jouer sur des trucs énormes alors qu’on arrive à 3 en camion ! Au Download Festival, on était le seul groupe dans ce cas-là, ils avaient même prévu une deuxième loge
« Inspector Cluzo production », on leur a dit que ça ne servait à rien ! (rires)
Pour le prochain album,
direction Nashville !
En septembre, on va enregistrer à Nashville avec Vance Powell, qui avait mixé « Rockfarmers » : c’est l’album
des 10 ans, c’est la première fois qu’on accepte d’être produit par quelqu’un d’extérieur, puisqu’on enregistre tout ici. Ce mec-là est fan de Tinariwen, a produit Seasick Steve... La première fois, alors qu’il ne nous avait jamais vus en live,
il a dit : « J’entends dans votre musique qu’il y a quelque chose autour... – nous sommes fermiers, agriculteurs... – Of course ! People of the soil ! (bien sûr, des gens de la terre ! » Ce sont des musiques qui ont besoin d’un rapport tellurique : soul, blues, rock, c’est la même famille...
Ce documentaire d’une trentaine de minute permet de découvrir la démarche agricole, à la fois osée et rationnelle, de Laurent et Mathieu qui se connaissent depuis leur classe prépa (Math Sup-Math Spé), l’un a une maîtrise de physique, l’autre est ingénieur en mécanique (« Aujourd’hui ça nous aide pas mal dans la structuration intellectuelle, et du groupe, et de l’agricole ») et ne font rien au hasard, tout en laissant faire la nature.