Leader de Foals depuis bientôt vingt ans, Yannis Philippakis se dévoile à travers un nouveau projet : Yannis & The Yaw. Le fruit d’une rencontre avec un génie de la batterie disparu il y a peu, Tony Allen (1940-2020). Rencontre avec deux membres du groupe.
Comment ce nouveau projet est-il né ?
Yannis Philippakis : Un ami du label Because m’a proposé d’écrire avec Tony Allen, à Paris. J’ai dit oui immédiatement car je suis un grand fan de son travail. À ce moment-là, on tournait beaucoup avec Foals, j’étais épuisé et j’ai failli annuler. Mes amis m’ont dit que je ne pouvais pas rater cette occasion, que j’allais le regretter. Ils avaient raison, j’ai passé deux journées merveilleuses (en 2019) !
Qu’est-ce qui distingue le processus de création de ce nouveau projet par rapport à Foals ?
YP : Tony a un style bien à lui. Quand on a commencé le projet, ce n’était même pas encore un projet, plutôt une idée. Le but était juste de faire un titre, il n’y avait pas d’attentes, pas de pression. C’était un peu un processus créatif indéfini, un voyage. Et de ce fait c’était très libérateur. Nous n’avions pas à rendre de comptes, que ce soit vis-à-vis du public ou d’un label, contrairement à Foals. L’équipe avait déjà une dynamique, ça a aidé. C’était plutôt moi qui venais dans leur monde…
Vincent Taurelle : Yannis a réussi à trouver sa place très vite. J’avais déjà fait un album avant avec Tony qui s’appelait « Film Of Life », où il y avait notamment une chanson avec Damon Albarn. On a trouvé que c’était chouette de faire ça et on a cherché d’autres artistes. Avec Yannis, ça a super bien marché, car il a un grand sens de l’improvisation, ce qui n’est pas le cas pour tout le monde…
YP : Je me rappelle que j’ai commencé à faire les riffs de la première chanson, Walk Through Fire. Je faisais mon truc dans mon coin, et tout d’un coup Tony était à côté de moi en train de jouer. Je n’ai même pas eu le temps de réaliser, ça s’est passé très rapidement. Dans l’heure qui suivait, on avait assez de matériel pour cette chanson.
C’est toujours particulier de rencontrer quelqu’un qu’on admire. Était-ce intimidant de travailler avec Tony ?
YP : J’aimais beaucoup les albums de Tony Allen, mais je ne connaissais pas forcément son histoire personnelle. Le plus excitant pour moi était de jouer avec lui, dans la même pièce. Puis le lien s’est créé très vite entre nous, une sorte de lumière dans la relation. On ne sait jamais, quand on rencontre quelqu’un qu’on admire, ce qui peut se passer. Je pense qu’on a eu beaucoup de chance, la magie a tout de suite opéré. Si le courant n’était pas passé, l’aventure n’aurait pas continué au-delà de ce premier morceau.
Quelle place a occupé la guitare durant la composition ?
YP : Elle était vraiment au début du processus, suivie par la batterie. On partait beaucoup de riff, comme pour Walk Through Fire. C’est allé tellement vite qu’on ne savait presque plus quoi faire du reste de la journée (rires). Donc j’ai sorti mes pédales, car je ne suis pas vraiment une personne à ordinateur…
Et comment s’est passée la rencontre entre les différents instruments ?
YP : C’était plutôt facile, naturel. Quand je joue, j’adore être dans le dialogue, et notamment avec la batterie. C’est extrêmement satisfaisant quand on arrive à communiquer. C’était très gratifiant de pouvoir vivre ça avec Tony, qui a une manière particulière de jouer. Il accentue les choses, et a été à l’origine de cette manière de jouer. Il y a quelque chose de sauvage. On a voulu laisser cet aspect-là dans l’enregistrement, l’ambiance dans laquelle on était, à jouer et boire du whisky. Quand je songeais à faire une autre prise, plus « clean », Tony voulait laisser comme ça. J’aime cet état d’esprit. Pour certains, ce qui compte le plus est la perfection du résultat final, et ça peut rendre le processus presque clinique. Ici, c’était plutôt le voyage musical qui était au centre de notre travail. Les motivations de Tony sont vraiment pures. Il fait au jour le jour, et si une idée ne marche pas, on passe à autre chose. Nous ne sommes pas des businessmen !
Il y a aussi beaucoup de percussions dans les morceaux…
YP : Oui, c’était plutôt nouveau pour moi ! Ça fait partie de l’afro-beat, de sa texture. Vincent Tiger, qui joue avec nous, est un batteur et un percussionniste exceptionnel. Tony est également très fort. C’est presque comme un super-groupe. C’était très excitant de découvrir ces instruments.
VT : Je pense aussi que c’est ça qui fait qu’ils se sont bien rencontrés, car Tony crée ce genre de choses. Il imbrique d’autres instruments qui donnent un rythme complémentaire. Tout est un peu comme ça dans l’afro-beat. Là, ce n’est pas de l’afro-beat, mais plutôt du rock mélangé aux codes de l’afro-beat…
Côté matériel, qu’avez-vous utilisé ?
YP : On avait notamment une guitare Silvertone, qui a beaucoup de caractère. En gros, c’est une planche, mais elle a beaucoup de charme (rires). De manière générale, on travaille plutôt avec de l’analogique, du matériel vintage simple et un peu old-school. Mais je dois mentionner aussi le looper que j’utilise : le Boss RC-30 Loop Station. Le plus grand amour de ma vie, de loin ! Je l’utilise depuis que j’ai 17 ou 18 ans. Avec ça, vous n’avez même plus besoin d’avoir d’amis (rires). Quand j’étais à l’université, j’ai pris les clés de la salle de musique, je l’ai clairement réquisitionnée, et au lieu de sociabiliser j’y passais ma vie ! Puis j’ai abandonné l’université finalement, c’est dire !
Aujourd’hui, quel futur imaginez-vous pour ce projet ?
YP : Nous voulons garder ce côté relax, sans pression. Ce premier disque est une combinaison unique qui réunit plusieurs générations, plusieurs cultures. La suite devra être toute aussi inspirante. Il faut qu’on trouve notre étoile du Berger, et on saura où aller…
Le titre préféré de Yannis
Même s’il est généralement difficile pour les artistes de choisir un morceau préféré dans le tracklisting d’un nouvel album, Yannis s’est prêté au jeu. Son avis ? Rain Can’t Reach Us. « Je savais que l’idée était bonne, mais je n’arrivais pas à être inspiré par la manière dont elle sonnait dans mes pédales. C’était excitant de la voir prendre vie avec les autres instruments. Et la chanson a beaucoup de cœur, je dirais presque un pouvoir spirituel. On était épuisés à la fin du titre, on traînait avec notre café froid, et au final c’est ma préférée. Sa création a été un véritable voyage… »