
Nous pensions que les enchères étaient réservées à des instruments anciens et acoustiques, mais il semble y avoir un véritable engouement pour l’électrique ?
Etienne Laurent : C’est un phénomène relativement nouveau. Pour faire un historique, j’ai repris la maison de vente de mon père il y a 13 ans, la part de guitares électriques dans nos ventes était alors quasiment nulle. Nos experts historiques Françoise et Daniel Sinier De Ridder ont pris leur retraite et ont laissé la place à Jerôme Casanova, qui est expert en cordes pincées et dans les instruments anciens, mais qui avait aussi un goût prononcé pour les guitares électriques vintages, les belles américaines. On a commencé à développer ce marché. Il y avait assurément quelque chose à faire, mais le résultat était en dessous de nos espérances. Puis ça a peu à peu progressé, les guitares se sont invitées dans nos ventes de manière naturelle en suivant la tendance à la hausse du marché des électriques. Les salles d’enchères, pas seulement la nôtre, sont alors devenues plus pertinentes pour une raison simple : vendre une Fender à 500 € sur Leboncoin ou eBay, pas de problème. Mais quand la même guitare coûte 5 à 10 fois plus cher, on a besoin de sécuriser l’échange. De plus, nous ajoutons le travail de l’expert qui vérifie si les potentiomètres sont bons, si des micros ont été changés, etc.

Les enchères sont associées aux collectionneurs, est-ce que les modèles vendus sont joués ?
Il y a évidemment des modèles qui rentrent dans des collections et ne sont plus touchés, mais beaucoup d’instruments vendus, même les vieux modèles, sont joués. D’ailleurs, les acheteurs sont souvent des musiciens. Si l’on retourne sur un de nos domaines de prédilections, les archers et violons, les modèles que nous vendons plusieurs milliers d’euros ont très souvent vocation à être pratiqués. J’avoue qu’en tant que commissaire-priseur, j’aime savoir que je vends à la fois un objet d’art, un objet de collection et un outil de travail, ce qui n’est pas le cas pour la peinture, par exemple. Bien sûr, un vieux modèle comme la Voboam vendu il y a peu et ayant appartenu à Louis XIV ne sera certainement jamais rejoué, mais c’est un cas très particulier.
Était-elle seulement encore jouable ?
Disons que l’on aurait du mal à mettre ses mains sur un instrument du XVIIe siècle qui a survécu jusqu’à aujourd’hui, mais dans l’absolu, elle pourrait être jouée. En définitive, les caractéristiques de ce type d’instrument sont solides, si le barrage à l’intérieur est toujours bon et que la structure a tenu, pas de raison qu’elle ne soit pas jouable.
Est-ce que le profil de vos acheteurs a changé ?
Oui, totalement. On a une clientèle spécifique pour les guitares américaines des années 50 à nos jours. Sur une vente telle que celle des instruments de Jean-Louis Murat, nous avons eu un public de fans, mais sinon nous avons une jeune génération qui pousse les portes de la salle des ventes, ainsi que différents types d’acheteurs, ça nous fait plaisir.
Est-ce qu’il est possible de faire une bonne affaire ?
Oui, on peut trouver des choses sympas à des prix raisonnables. Après, une bonne affaire, ça reste relatif, ça dépend surtout des attentes de l’acheteur. Parfois, nous présentons des modèles qui ont besoin d’une restauration, donc un surcoût à prévoir. Sinon, il arrive que deux acheteurs veuillent le même l’instrument et se l’arrachent à 4 fois le prix du marché. Tout est question d’opportunité. Ça reste de l’enchère, donc la rencontre entre l’offre et la demande. En revanche, vous trouvez des choses que vous ne trouverez pas ailleurs et il est possible de venir tester les instruments, discuter avec les experts. Pour les gens curieux, c’est un univers incroyable.



Votre site regorge d’ailleurs d’informations sur les instruments, avec quelques pages d’histoires passionnantes.
Oui, nous avons une documentaliste qui effectue un travail de recherche sur les modèles mis en vente. C’est aussi une manière de rendre hommage aux magnifiques instruments qui passent entre nos mains. Lorsqu’on a un objet vraiment particulier, on lui accorde du temps pour faire des recherches dans les musées, les bibliothèques et consulter des experts pour rédiger un article.
Comment les instruments ou les collections arrivent chez vous ?
Nous comptons sur la publicité, puis le bouche-à-oreille. Lorsqu’on pense par exemple à la collection de M. Kunz, soit la vente de plus de 50 instruments en une seule fois, nous sommes la meilleure option pour le faire dans de bonnes conditions. On peut présenter l’ensemble de ses instruments, lui apporter une solution viable, sécurisée, sans qu’il n’y ait rien eu à faire. Notre expert, Jérôme Casanova, a aussi une boutique à Paris et conseille notre salle de ventes. Récemment, nous sommes allés chez un collectionneur malheureusement décédé, quelqu’un qui vivait à Amsterdam. Son fils nous a chargés de vendre l’ensemble de sa collection. Nous sommes allés récupérer tous les instruments et nous nous sommes chargés de leur vente. Notre service n’est pas si courant sur le marché, donc les vendeurs viennent assez naturellement vers nous. Et puis, plus simplement, beaucoup de personnes qui ont acheté des guitares dans les années 70, 80 arrivent dans des âges où ils jouent beaucoup moins et certains de leurs instruments ont pris de la valeur, donc l’offre est de plus en plus importante.
Il y a une transparence, on peut voir sur le site a quels tarifs sont partis les différents objets. C’est une obligation légale ? Et est-ce que cela inclut le pourcentage reversé à la salle de ventes ?
Non, il n’y a pas d’obligations légales, mais ça participe à la transparence que nous souhaitons mettre en avant. Et a priori, oui, les résultats affichés incluent nos frais de vente, car ce n’est quand même pas rien, nous prenons 25% sur la vente. Quand vous êtes à la vente, il faut le savoir, le prix annoncé quand le marteau tombe est celui sans la commission, donc pour une guitare à 1000 € la personne va payer 1250 €.



Ce pourcentage est laissé au choix de la salle de ventes ?
Non, c’est libre, même si nous sommes un peu tous sur les mêmes tarifs. Le conseil que je peux donner pour toutes les enchères : vérifiez toujours les conditions de vente avant d’enchérir afin de ne pas être hors budget au moment de l’achat. Nous avons tous des équipes pour répondre aux questions. N’hésitez pas à appeler pour demander des photos de détails, un historique de l’objet, des renseignements sur les charges de transport, l’emballage, etc.
Les gens vont-ils sur des marques connues du type Fender, Gibson, Gretsch ? Est qu’il y a aussi des guitares de luthiers plus confidentiels ?
Nous avons, pour l’instant, vraiment une prédominance des grandes marques. On présente de temps en temps des guitares de luthiers, mais à des prix plus modérés. Nous sommes sur un secteur sur lequel les gens ont besoin, pour l’instant, d’avoir quelque chose de connu, de très référencé. Mais une fois encore, c’est un marché émergent, et il est évident que ça va beaucoup évoluer au cours des prochaines années. Des musiciens vont être à la recherche de sons différents obtenus sur des instruments atypiques, mais pour cela, il va falloir que le marché soit encore un peu plus dynamique, connu de tous, avec un spectre d’acheteurs un peu plus large, pour que l’on sorte un peu des sentiers battus.
Vous avez tout de même votre lot de guitares un peu hors norme, j’ai notamment vu une guitare-harpe Gibson assez incroyable !
Oui, c’est vrai, et voilà typiquement un produit qui se retrouve dans nos catalogues, mais difficilement ailleurs. J’ai l’occasion d’accueillir des musiciens dans nos réserves qui ne connaissent pas notre univers, ils sont émerveillés de tout ce qu’ils trouvent. C’est vrai qu’il faut avoir un budget pour ce type d’instrument. J’ai beaucoup d’amateurs qui viennent avec moins de capacité de dépense, mais qui se font plaisir avec des objets qui sortent vraiment de l’ordinaire. De plus, nous restons ouverts au public, et avant les ventes, il est possible de venir voir les instruments, les toucher, les essayer. Pour les gens curieux, c’est la caverne d’Ali Baba !
Article paru dans le numéro 372 de Guitar Part.
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