Cette toute première édition française du Download Festival à l'Hippodrome de Longchamp était fort attendue. Si globalement et musicalement elle n'a pas déçu, certains ajustements seront plus que nécessaires pour le prochain rendez-vous. Olivier Ducruix - Photo : © Olivier Ducruix
Vendredi 10 juin Pour une première édition française (l'événement existe en Angleterre depuis plus d’une dizaine d'années), le Download Festival a dû faire face à quelques soucis notoires et parfois un poil fatigant pour certains : récupération chaotique des bracelets lors de l’ouverture du festival, cashless qui pédale dans la semoule et gestion kafkaïenne des litiges qui en découlent, gilets jaunes manquant cruellement d'informations et signalétiques autant sur le site qu'autour plutôt brouillonnes, sans parler de certains campeurs qui en ont gros sur la patate. Bref, on a connu mieux. Par contre, sur le lieu, rien à dire. Belle implantation, espace ni trop grand ni trop confiné, on apprécie. Après un début timide, pour ne pas dire anecdotique, la journée du vendredi a réellement débuté à 16h30 avec Gojira venu défendre son nouvel album, « Magma ». Le quatuor a encore changé de catégorie et balance un metal compact, violent, mais avec dorénavant quelques petites touches plus aériennes. Du bon gros son. Du Gojira tout simplement. Après le show très cabaret d'Avatar et le set sincère de The Raven Age, place aux Deftones et à leur metal définitivement inclassable. Lourd et généreux, planant et intense à la fois, le passage de la bande à Chino en a scotché plus d'un à juste titre. Changement d'ambiance dans la foulée avec le thrash old school toujours aussi percutant d'Anthrax. Question vintage, Iron Maiden avait aussi pas mal d'arguments à faire valoir. Si parfois la machine anglaise semblait être en pilote automatique, le spectacle était bien présent. Doit-on attendre autre chose des vétérans du heavy metal ? A priori, non. Ghost et Tremonti ont conclu la journée du vendredi avec un concert franchement énergique pour le second. Good job, Mark.
Samedi 11 juin Shinedown donnait le top départ du samedi avec un concert plutôt sympa, suivi de près par Apocalyptica. Voir trois gars envoyer du bois avec des violoncelles, c'est un peu barbant sur la longueur, mais c'est assez drôle, il faut le reconnaître. Mais était-ce vraiment l’effet escompté ? Pas sûr… À l'autre bout du site, sur la Stage 2, Mass Hysteria, qui méritait assurément un meilleur horaire de passage (15h, tout comme Lofofora d’ailleurs), n’a pas ménagé sa peine pour faire transpirer les festivaliers en livrant un set ultra puissant. Sur scène, le quintette français est une véritable machine à riffs, complètement hystérique, cela va de soit. Si Arcane Roots n’a sans doute pas livré son meilleur concert ce jour-là, les gars de Saxon, eux, ont fait le job. Pas original pour un sou, mais les fans du mouvement New Wave Of British Heavy Metal qui vit le jour au début des années 80 ont apprécié la prestation du groupe anglais. La fin d’après-midi est nettement plus calme et on ne parlera pas plus de la scandaleuse programmation des Babymetal par respect pour l’âge des intéressées. Heureusement, Amon Amarth, des Suédois venus avec l’avant d’un imposant drakkar pour déverser de bons gros riffs death metal, et Biffy Clyro, dans la foulée, ont su redonner un second (et sacré) souffle au Download, même si les metalheads purs et durs ont profité de l’occasion pour aller transformer leur cashless en houblons. Les Écossais ont éclaboussé de leur classe tout le festival avec un set tout simplement parfait. Respect. Difficile de faire mieux juste après et Jane’s Addiction n’a, hélas, pas réussi son grand retour. Voix trop souvent à la limite de la cassure pour Perry Farrell, minimum syndical pour Dave Navarro, danseuses dignes d’un club de striptease de seconde zone, la section rythmique a sans doute sauvé le groupe du naufrage total. The Inspecteur Cluzo, duo d’éleveurs d’oies et de canards, sait aussi cultiver les décibels pour produire un style hybride, mais sans OGM, à base de rock, de blues et de funk. Korn s’est chargé de conclure de fort belle manière la journée du samedi. Setlist de compétition, son de champion et forme quasi olympique pour les 5 musiciens. Cela faisait bien longtemps qu’un concert du groupe n’avait pas fait autant l’unanimité.
Dimanche 12 juin The Shrine, trio californien basé sous le soleil de Venice Beach, a joliment ouvert cette dernière journée placée sous le signe de la grisaille, avec un rock fortement heavy sorti tout droit des années 70 d’excellente facture. La grisaille s’est hélas transformée en pluie alors que les chrétiens de Skillet entamaient leur set. Lofofora a miraculeusement été sauvé des eaux (tout comme Strange Bones, un trio britannique heavy garage rock à surveiller de près). Tant mieux, car il eut été dommage de ne pas profiter pleinement du set délivré par le quatuor français. À l’instar des Deftones, Lofofora est de plus en plus inclassable avec ce mélange explosif de metal, de hardcore et de stoner, le tout enrobé d’un groove malsain à souhait. Imparable. Trivium a dû également composer avec une météo définitivement capricieuse, ce qui n’a pas empêché le quatuor américain de répondre présent. Un chanteur/guitariste heureux d’être là et qui le montre, une belle et énergique prestation, avec en plus la palme d’or du festival du nombre de slams le plus élevé sur un morceau (In Waves). Entre Children Of Bodom et New Year’s Day, il y a un gouffre : look austère et death metal légèrement mélodique (oui, c’est possible) pour le premier cité, maquillage et power metal spécial adolescents pour NYD, les festivaliers ont pu choisir leur camp… ou aller manger une frite XXL chez Momo. Pas de chance pour Sabaton, la pluie a fait parler d’elle une nouvelle fois et pas qu’à moitié. De là à dire quel dommage… Direction la stage 2 pour aller voir Rival Sons. On attendait beaucoup de ce concert tant le classic rock mâtiné de blues bouillonnant est digne d’intérêt. Hélas, les intéressés ne semblaient pas vraiment habités par une réelle passion communicative et se sont contentés du minimum, peut-être refroidis par les quelques gouttes qui tombaient encore sur Longchamp. Dommage, nous aurions dû choisir l’option Skindred… Des gouttes qui n’ont pas dérangé Volbeat (alors que celles-ci étaient plus importantes que pour Rival Sons). Rob Caggiano, l’américain de service, et ses compères danois ont livré un set carré et festif pour le plus grand bonheur des festivaliers. Question fête, il ne faudra pas compter sur Dave Mustaine. Si le guitariste est toujours aussi talentueux, on ne peut pas dire qu’il soit un adepte du sourire. Remercions grandement les trois autres membres de Megadeth (Dave Ellefson, le légendaire bassiste, en tête) d’avoir mis un peu de fun dans une prestation (trop ?) millimétrée. Rammstein se chargeait de conclure le festival avec un spectacle une nouvelle fois complètement hallucinant. Si la journée du samedi avait été quelque peu boudée en terme d’affluence, celle du dimanche (comme celle du vendredi) affichait un nombre impressionnant de spectateurs. Il faut dire que la formation allemande suscite toujours autant d’intérêt et qu’on est rarement déçu par l’un des ses shows. Explosions, feux d’artifices, décor digne d’un film à gros budget, chaque titre est un prétexte pour un nouveau tableau autant visuel que sonore, avec l’esprit cabaret en plus. Ou comment finir de manière magistrale une première édition.
Certes, tout n’a pas été une réussite totale, à commencer par le nombre de spectateurs présents (environ 100 000), une affluence en-deçà des espérances initiales des organisateurs, mais jugée raisonnable au vu des événements des derniers mois (attentats) et des dernières semaines (grèves dans les transports, intempéries), sans oublier l'Euro de football. « Pour une première, on a tout accumulé, c'est plus qu'un bizutage », estime Angelo Gopee, directeur général de Live Nation France. « Vu les circonstances, ce n'est pas mal. C'est encourageant, le potentiel est là. » Oui il est bien là, mais se réfugier derrière l’argument de la première édition, avouons que venant de l’un des plus gros promoteurs de concerts dans l’Hexagone, c’est un peu facile pour expliquer les errances citées en préambule… Reste qu’un tel événement, qui plus est organisé près de Paris, se doit de perdurer dans le temps avec, il faut l’espérer, une programmation mieux établie et plus proche de celle du Download anglais (autrement dit plus large dans sa déclinaison du rock), et une date moins proche de celle du Hellfest. Deux gros festivals de ce type à une semaine d’intervalle, ne serait-ce pas un peu bêta ?
Hommages Certains groupes ont profité de leur passage en France pour faire allusion aux tragiques événements survenus en France, le 13 novembre 2015. Chino Moreno n’a pas manqué de rappeler combien il aimait notre pays (rappelons que certains membres des Deftones étaient présents au Bataclan le soir des attentats et que le groupe devait se produire à partir du lendemain dans la salle parisienne et ce, pour 3 jours). Bruce Dickinson, le chanteur d’Iron Maiden, a salué la mémoire des fans de metal (et plus particulièrement de Guillaume Barreau Decherf, journaliste et grand fan de la formation britannique, en brandissant un drapeau tricolore où l’on pouvait lire les initiales GBD) tombés sous les balles des terroristes. Mouss, le frontman de Mass Hysteria a dédié la chanson L'enfer des Dieux aux victimes en mimant un pistolet contre sa tempe en prononçant ces quelques mots : « Le fanatisme est un suicide lent », tandis que Saxon, qui avait dû annuler son concert parisien du 15 novembre 2015 en compagnie de Motörhead et de Girlschool, y allait aussi de son hommage aux victimes. Sur un des premiers titres joués par Rammstein, le chanteur portait une ceinture bardée de grenades comme un kamikaze, ceinture qu’il fit exploser avant de disparaître dans le noir, le signe de Paris projeté sur les grands écrans, certes sous les applaudissements du public, mais sans un mot. Parfois, il vaut mieux savoir s’abstenir…