Depuis plus de trente ans, Page Hamilton reste le gardien du metal alternatif qui groove, avec des accents pop plus prononcés. Sur « Left», le 9e album de Helmet, le guitariste ose même libérer ses influences jazz comme il nous le raconte en visio depuis son tourbus.
Sept ans se sont écoulés depuis le dernier album « Dead To The World » (2016), mais Helmet a énormément tourné jusqu’au coup d’arrêt de la crise du Covid-19. C’est là que tu t’es mis à composer ?
Page Hamilton (chant/guitare) : Oui, mais pas pour Helmet. Je bossais plutôt dans le jazz : j’ai composé une pièce pour cuivres etinstruments à vent pour l’orchestre d’un lycée de Memphis qui fêtait son 150e anniversaire (Christian Brothers). C’était chouette de travailler avec des étudiants, il fallait les accompagner. ConcernantHelmet, ndans notre tournée du 30e anniversaire (« 30 ans, 30 titres », en 2019) : nous devions aller au Japon, en Australie, en Amérique du Sud, quand tout s’est arrêté. J’ai été très peu actif pendant la pandémie : je buvais des bières, j’ai pris des trucs horribles contre l’anxiété, j’ai été malade, j’ai dû être opéré. J’étais pathétique. Autour de moi, j’avais des gens qui me disaient : « J’e nai profité pour apprendre le français ». J’ai bien essayé pendant six ans et tout ce que je sais dire, c’est « merci beaucoup» (rires).
Tu as rarement libéré tes influences jazz dans Helmet. Mais sur Resolution, le dernier titre de « Left », on entend ta guitare jazz...
J’avais le titre de cet album en tête depuis dix ou douze ans, idem pour ce morceau. J’en ai parlé à Kyle (Stevenson,batterie) qui m’a dit : « je ne peux pas jouer du jazz ». Je ne voulais pas frimer, mais simplement rendre hommage à l’un de mes héros. Quand j’ai découvert le morceau Resolution et l’album de John Coltrane « A Love Supreme » (1965), je devais avoir 20 ans. Cela a complètement changé ma perception de la musique. Ce niveau d’expression, d’émotion, de passion, d’intensité va bien au-delà de sa technique, elle aussi incroyable. C’est un morceau très agréable à jouer, il se passe plein de choses dans le jazz. J’y vois un lien avec « Betty » (1994) qui se terminait sur Sam Hell, mon hommage à Robert Johnson.
Sur « Left », on retrouve la force et les riffs d’Helmet, mais avec une dimension plus “politique” cette fois...
C’est vrai, mais je ne l’ai pas fait délibérément. J’ai toujours des carnets sous la main dans lesquels je note des idées, des embryons de chansons. Il s’en est passé des choses dans ce pays... Et plus je prends de l’âge, plus je me fiche de savoir ce que l’on pensera de mes prises de position. Je suis un citoyen américain de 63 ans qui paie ses impôts. « Left » est un mot assez simple. Mais qui est de gauche ? Qu’est-ce que la gauche ? On peut se poser la question à la manière des Who sur « Who’s Next » (1971) : Who’s Left ? Je discutais avec Richard Da Silva qui a créé nos deux dernières pochettes et qui réalise nos clips. Je lui ai parlé des livres de Cormac McCarthy qui a notamment écrit La Route. J’avais l’image de cette planète que l’on maltraite, particulièrement aux États-Unis. Voilà ce qui a inspiré la pochette. Cet album est un peu mon All You Need Is Love des Beatles dans une version plus énervée !
Tu as commencé à donner des cours de guitare en ligne. Quel est le profil de tes élèves : des fans qui apprennent à jouer les morceaux d’Helmet avec le gars qui les a composés ?
Il y a effectivement des fans qui ont grandi avec Helmet et même leurs enfants ! Certains se sont remis à la guitare pendant le confinement, d’autres ont un groupe et je les ai aidés à produire un titre depuis mon home-studio. Ils viennent de partout, de Sao Paolo, Toulouse, Seattle, Chicago... J’ai toujours aimé donner des cours, cela me permet de réorganiser mes habitudes de travail et d’écriture. Bon, j’ai aussi un fan en Allemagne qui ne joue pas de guitare, il veut juste discuter, mais quand il me parle de ses problèmes avec sa copine je l’arrête, car je ne suis vraiment pas la bonne personne pour ça (rires).
En 2014, lors de la tournée du 20e anniversaire de « Betty », tu disais que passé 50 ans cela devenait difficile de tourner, ton dos te faisant souffrir. Tu envisageais même d’arrêter. Tu as changé d’avis ?
C’est vrai que c’est usant physiquement. Je mesure 1,96 m et quand tu voyages sur une compagnie d’avion colombienne, tu es cassé en deux. Mais une fois sur scène, tu es dans ton univers avec ton ampli, tes pédales, ton micro, c’est le bonheur. Et puis, j’ai la chance d’avoir un bon groupe avec moi, je les considère comme mes petits frères, vu qu’on a 15 ans d’écart. Ils font la fête tous les trois, moi j’ai ma routine, je joue de la guitare, et parfois je les rejoins quand nous avons un day-off.
Quel effet cela t’a fait de revisiter « Meantime » (1992) et « Betty » (1994) vingt ans après avec ton « nouveau » line-up ?
Je le recommande à tous les groupes qui ont la chance d’avoir créé un album influent et qui fait partie de l’histoire d’un genre musical, rock-indé, metal ou autre. Il y a des chansons que je n’avais plus jouées avec Helmet depuis la sortie de ces albums comme The Silver Hawaiian ou Sam Hell. C’était un défi de les apprendre, mais cela nous a permis d’avoir un plus grand répertoire, de donner un concert différent chaque soir et de proposer un set intéressant. On me demande parfois de jouer l’intégrale d’«Aftertaste » (dernier album de la formation d’origine paru en 1997, ndlr), mais je ne suis pas sûr d’en avoir envie...
Dirais-tu que tu composes ta setlist chaque soir comme on compose un album ?
Oui. J’ai un carnet dans lequel j’établis ma setlist sur la base d’une centaine de chansons que l’on peut jouer. Il y a des groupes qui jouent les mêmes titres chaque soir. Moi, je veux que cela reste intéressant. Les chansons doivent s’enchaîner, par le groove, le tempo...
On connaît ton attachement à ESP avec qui tu collabores depuis toujours, et côté amplis, tu joues sur Fryette depuis quelques années maintenant...
J’ai rencontré Steve Fryette en 1996. Pendant des années, j’ai dépensé des milliers de dollars en matos quand le groupe a commencé à rapporter de l’argent. Mais je ne trouvais pas l’ampli qui me convenait. Cela ne fonctionnait jamais et cela me mettait en colère. Je voulais juste un ampli fiable pour la scène. Un ami m’a conseillé d’aller voir ce gars qui fabriquait des amplis sous le nom VHT. Je crois qu’il a vendu le nom VHT plus tard (en2009, Steve Fryette se mit à fabriquer ses amplis sous son nom propre dans son atelier, la marque VHT étant depuis exploitée par une autre compagnie qui fabrique des amplis en Chine, ndlr). Il crée de super amplis. Je joue sur un Fryette Pitbull Ultra-Lead et nous travaillons sur une nouvelle version pour 2024.
Tu l’as toujours dit, AC/DC compte parmi tes plus grandes influences, pourtant tu ne t’es jamais risqué à faire une reprise ou peut-être une fois en concert avec Helmet...
Oui, en Floride. C’était d’ailleurs un concert désastreux. Le pire concert que j’ai donné de ma vie. J’avais un peu trop fait la fête la veille à Miami avec des amis. J’ai radicalement changé après ça. J’ai juste participé à une reprise de Rock’n’Roll Damnation sur « We Salute You: An AllStar Tribute To AC/DC » (avec Jeff Scott Soto, Albert Lee, Jennifer Batten...). Mais je ne chantais pas, cela aurait été un sacrilège. ZZ Top et AC/DC sont impossibles à reprendre. Bien sûr, tu peux jouer les riffs, mais tu ne peux pas jouer comme eux.