Du post-punk à la sauce britannique, des textes engagés, un sens de l’humour que seuls les habitants de la Perfide Albion semblent pouvoir maîtriser : le second album de Kid Kapichi est redoutable d’efficacité et une belle réussite dans le genre. Propos recueillis par Olivier Ducruix - Photo : © Andy Ford
Pouvez-vous présenter le groupe aux lecteurs du magazine ? Ben Beetham (guitare) : Nous sommes originaires d’Hastings, près de Brighton, une ville très musicale avec de nombreux concerts tous les soirs, même si les médias n’en parlent jamais. J’ai rencontré Jack à une fête et nous avons commencé à jouer ensemble à l’occasion d’un projet musical pour une école. Ça a réellement bougé pour nous lorsque nous avons sorti le titre 2019 (disponible sur le EP « Sugar Tax, ndlr). Nous avons fait notre première tournée en Angleterre en mars 2019 et nous avons été repérés à la radio par Frank Carter. Il a adoré notre morceau et nous a invités pour jouer lors de sa fête d’anniversaire, puis embarqués avec lui pour une tournée européenne pendant un mois. La première date s’est déroulée à Paris, à l’Élysée Montmartre. Ce fut un moment très spécial pour nous… Jack Wilson (chant/guitare) : Très spécial, en effet, et nous sommes tombés très vite amoureux de Paris !
Pensez-vous que jouer avec Frank Carter & The Rattlesnakes, mais également ouvrir pour Liam Gallagher, a quelque peu accéléré les choses ? JW : Tout à fait, surtout que nous avons été soutenus par Frank et Liam, nous n’avons pas été parachutés comme ça au hasard. Avoir le soutien de ces deux artistes nous a permis d’être mieux acceptés par leurs fans respectifs. Bon, c’était plus facile avec le public de Frank Carter, car il y a quelques similitudes avec son style de musique et le nôtre. BB : Les fans de Liam sont cools aussi, mais ils viennent d’abord voir Dieu sur scène (rires) !
La politique et les sujets sociaux font partie de l’identité de Kid Kapichi. Est-ce une approche que vous avez eu dès le début du groupe ou est-ce venu un peu plus tard ? JW : C’est venu dès le début, du moins lorsque nous avons compris ce que nous voulions vraiment faire. Pendant des années, nous avons tous joué dans différents groupes, sans but précis. Mais le titre 2019 a changé notre approche, c’était notre première chanson à caractère politique. Ce fut comme un déclic. Nous en discutions entre nous, sans réussir à mettre en musique ce que nous avions dans nos têtes, jusqu’à la composition de ce morceau. Et nous l’avons fait, non pas pour être populaire quant à avoir un avis prononcé sur les problèmes d’aujourd’hui, mais parce que nous nous sentions confiants d’exposer certaines idées.
Vu le contexte actuel, pensez-vous que les groupes ont une certaine responsabilité quant à être engagés politiquement ? BB : Les groupes ne doivent pas se sentir obligés de le faire. Si certains utilisent la musique comme une plateforme pour parler de sujets sensibles, c’est bien, mais il ne faut surtout pas se forcer. JW : Franchement, si tous les groupes étaient engagés politiquement par rapport à leurs textes, cela deviendrait vite ennuyeux. Parfois, tu as juste envie d’écouter de la musique pour t’éclater et ne penser à rien d’autre (rires). Par contre, si tu t’engages dans une voie plus politique, là tu as une responsabilité de te tenir informé. Tu ne peux pas écrire sur les problèmes du monde d’aujourd’hui si tu ne maîtrises pas le sujet. BB : Et tu as plutôt intérêt à comprendre les mots que tu mets en musique.
On a l’impression qu'en Angleterre le monde de la musique se sent à nouveau plus concerné par les problèmes sociaux liés à l’actualité, avec des groupes tels que Sleaford Mod, Idles, Slaves, Bob Vylan… JW : C’est juste, sans pour autant en faire une généralité. Vu ce qu’il se passe en ce moment dans le monde et en Angleterre, c’est facile d’écrire sur ce type de sujets. Les gens sont fatigués, énervés et le meilleur exemple est de voir que notre titre Rob The Supermarket passe trois fois par jour sur la station Radio 1. S’il n’y avait pas une certaine prise de conscience, ce genre de morceau ne passerait pas autant sur les ondes. Il y a 10 ans, personne ne se serait intéressé à nos textes, mais aujourd’hui, c’est totalement différent.
Le Brexit pousse-t-il de nombreux groupes anglais à être plus engagés ? JW : Bien sûr que le Brexit joue un rôle, mais pas seulement, il y a tellement d’autres raisons d’être en colère. BB : Beaucoup de jeunes ne comprennent pas le Brexit. En tant qu’Anglais, quand nous quittons le pays pour voyager, nous avons un sentiment de honte… Ajoutez à cela douze années de pouvoir du parti conservateur, avec un sentiment d’impunité pour les gens qui nous gouvernent, une forme de mépris… Voilà pourquoi la colère gronde un peu partout en Angleterre et dans le monde de la musique. JW : En Angleterre, on a l’impression qu’il n’y pas de parti de l’opposition et c’est sans doute pour cela que les groupes prennent la parole un peu plus aujourd’hui.
Des prises de positions marquées sur certains sujets sensibles, qui ne vous empêchent pas de faire preuve d’humour avec pas mal de second degré… JW : Nous ne voulons surtout pas être des moralisateurs et un peu de second degré permet aux gens d’être plus réceptifs à nos messages. Et puis, la situation économique et sociale actuelle est tellement aberrante que cela en devient ridicule, voire presque drôle ! BB : Ce n’est pas un hasard si en ce moment les comédiens qui font du stand-up sont finalement les commentateurs socio-économiques plus écoutés.
En quoi la production de « Here’s What You Could Have Won », votre nouvel album diffère-t-elle du précédent ? Avez-vous pris plus de temps pour l’enregistrer et bénéficié d’un budget plus conséquent ? BB : Nous avons produit nous-mêmes le premier album dans notre local de répétition et il est sorti en mars 2020, au moment du premier confinement… Nous avons gardé la même manière de travailler, en nous demandant comment nous pourrions aller plus loin encore aussi bien au niveau des textes que des mélodies. Dom Craik (membre fondateur et guitariste de Nothing But Thieves, ndlr), qui a produit l’album, nous a permis de nous transcender, il a réellement amené ce disque à un niveau supérieur. JW : Il a d’abord produit le tout premier single de l’album, New England. Et comme tout s’était très bien passé, nous lui avons proposé de produire tout l’album et il a accepté. À l’époque, nous n’avions pas encore de contrat avec un label, mais nous étions tellement motivés pour bosser avec lui que chaque penny qui entrait dans la caisse du groupe, chaque cachet pour un concert, servait à le payer. Comme quoi, il faut parfois savoir faire des sacrifices pour la bonne cause (rires) !
Si Ben a jeté son dévolu sur une Fender Telecaster ’52 Reissue fabriquée au Japon, Jack joue sur une Stratocaster dont l’histoire est loin d’être commune. « Ma guitare principale est une Strat de 1973, qui a un son incroyable, offerte par mon oncle. Un magasin d’instruments à Londres avait pris feu et toutes les guitares étaient foutues, sauf une. Le gérant lui a donné cette Strat brûlée, invendable, et mon oncle est parti avec aux États-Unis. À New York, comme il voulait continuer son road trip à travers le pays, il a décidé de vendre la gratte en espérant la récupérer plus tard. Mais lorsqu’il est revenu, la guitare avait été vendue. Il ne pensait pas la revoir, mais il a quand même réussi à obtenir l’adresse du nouveau propriétaire et s’est finalement débrouillé pour lui racheter. Vingt ans plus tard, il me l’a donnée ! »