Avec « Simple appareil », Lofofora s’est offert en 2018 une pause acoustique réussie. Le quatuor revient à l’électricité et sort un dixième album studio hargneux et bourré de gros riffs imparables, « Vanités », ou la preuve irréfutable que les darons du genre sont toujours en pleine forme, 30 ans après leurs débuts. Propos recueillis par Olivier Ducruix - Photo : © Olivier Ducruix
Vu la teneur très punk/hardcore du nouvel album, on imagine que ça devait sacrément vous démanger de revenir à l’électrique après « Simple appareil »… Reuno (chant) : Disons qu’après avoir marché en escarpins pendant deux ans, nous étions tous contents de remettre nos baskets (rires) ! Phil (basse) : C’est en quelque sorte une réponse à « Simple appareil », qui était un terrain complètement nouveau pour nous. Pendant la tournée relative au disque, nous avons continué à composer et, quand celle-ci a pris fin, nous avons de suite enchaîné avec la volonté de contrebalancer ce que nous venions de faire. L’album acoustique nous a servi à aller à l’essentiel en amenant plus de simplicité dans notre manière de composer. Daniel (guitare) : Tout s’est fait naturellement, dans un temps très court. Au final, nous avons sélectionné les idées les plus pêchues pour garder ce côté très direct, avec un travail sur les harmonies peut-être plus présent ici que par le passé. Reuno : Certes, on peut considérer ce nouvel album comme une envie forte d’envoyer à nouveau du bois après la parenthèse acoustique, mais il n’y a pas que ça. Aujourd’hui en France, la musique metal/punk/hardcore est extrêmement consensuelle. Tous les groupes, qui sont censés faire trembler les murs et les parents, ont les mêmes codes. Comme la scène est devenue plus importante que le disque en tant qu’objet, on est vraiment dans le show formaté… Elle est où la rébellion dans tout ça ? Avec « Vanités », nous avons voulu revenir à nos premières amours, pas forcément que musicales, mais surtout aux raisons qui nous poussent à faire de la musique énervée. Et ce n’est pas un exercice de style pour nous, c’est ce que nous avons dans nos tripes.
Après toutes ces années, pensez-vous avoir trouvé la bonne formule avec « Vanités » ? Reuno : Lofo, ce n’est pas un cahier des charges à respecter, c’est d’abord nous, c’est le plaisir de faire de la musique ensemble. Rien n’est prémédité. Une fois que l’enregistrement débute, ou même pendant la réalisation des maquettes, il nous arrive de ne pas retenir un titre, non pas parce que ça ne sonne pas comme du Lofo, mais parce qu’il n’a pas sa place dans la couleur de l’album sur lequel nous travaillons. Avec « Vanités », nous voulions faire un disque plutôt punk, quelque chose de direct. Le punk, ce n’est pas qu’une histoire de crête sur la tête ou de ceinture à clous, c’est aussi essayer des choses, comme j’ai pu le faire pour certaines mélodies voix. Daniel : Nous avions cette envie de nous lâcher en studio, de tenter des choses, d’expérimenter en créant des ambiances, tout en restant cohérents. Le titre Désastre en est le parfait exemple, avec beaucoup d’improvisation à la guitare. Ou encore La surface : c’est une idée à la base très rock’n’roll, qui me fait un peu penser à Wild Thing. J’étais pourtant persuadé qu’elle allait passer à la trappe (rires). En même temps, certains riffs, comme celui du morceau Les Seigneurs, résument parfaitement mon jeu de guitare. Avant, je n’osais pas trop proposer ce genre de choses. Et puis j’ai décidé de ne pas me freiner… Et c’est pour ça que « Vanités » est, à mon avis, un album très instinctif dans son élaboration.
Lors de l’édition 2019 du Hellfest, la scène française metal au sens large du terme a eu le droit à sa journée. Comment avez-vous vécu cet événement ? Comme une reconnaissance de la scène metal française ? Reuno : Sincèrement, non. La scène française… C’est un peu comme de parler de la grande « famille » du cinéma : à l’intérieur, je ne sais pas si cette notion existe vraiment (rires)… On est plus potes avec certains groupes que d’autres. Bon, le plus important est que cette journée a réellement plu au public présent… Phil : … et aux groupes qui ont participé à cette affiche, même si Reuno fait son punk sur ce coup là (rires) !
Avez-vous l’impression d’être parfois le vilain petit canard de cette scène ? Reuno : Parce qu’en 2000, nous n’avons pas cherché à faire la prochaine ballade pour Kyo, parce que nous n’avons jamais payé pour faire la première partie d’un gros groupe, parce que nous n’avons jamais joué du neo-metal quand c’était la mode, parce que nous n’avons pas d’effets spéciaux quand on joue sur la grande scène du Hellfest, voilà pourquoi on peut nous considérer comme des vilains petits canards de cette scène. Il y a plein de codes dans lesquels Lofo ne se reconnaît pas. Nous restons surtout des vieux punks, plus que des métalleux au final. Et c’est très bien ainsi !
L’année 2019 marque les 30 ans de carrière de Lofofora. Un événement spécial de prévu pour l’occasion ? Reuno : Ce n’est pas au programme. Déjà, entre nous on se fête rarement nos anniversaires respectifs, alors avec Lofo… Une tournée anniversaire d’un groupe me fait immanquablement penser à Conforama et son buffet campagnard pour l’anniversaire de l’enseigne. C’est souvent le fait d’un manque d’idée. Nous avons fait cet album, non pas pour fêter nos 30 ans d’existence, mais pour botter des culs (rires) !
Reuno, tu as souvent dit que si tout allait bien dans notre société, Lofofora écrirait des chansons d’amour. Ça n’est toujours pas le cas ? Reuno : Les raisons de s’énerver sont finalement toujours les mêmes, ça ne change pas. Dans cet album, il y a un thème significatif de notre époque, qui ressort plus moins : l’individualisme. Ça colle aussi au titre de l’album. Une vanité, en art, est une allégorie sur le temps qui passe. Autrement dit, comment tu remplis ta vie jusqu’à la mort, avec un rappel sur le côté éphémère de l’existence. Aujourd’hui, les gens se croient tellement important qu’ils immortalisent le moindre de leur mouvement comme si c’était un scoop… Il y a sûrement moyen d’occuper sa vie de manière plus épanouissante et moins nombriliste.
Les révélations de Daniel J’ai beaucoup utilisé mes deux Gibson Les Paul, Custom et Standard, mais j’ai fait tous les doublages des guitares avec ma Vigier GV Wood, dont la clarté se marie parfaitement avec la Custom. Ma tête Mesa Boogie Triple Rectifier fut constamment présente sur tous les morceaux, sauf sur la Surface, avec à chaque fois un autre ampli en face (Sovtek, Orange, Marshall, Vox), selon les sons recherchés. Durant les prises guitare, j’ai découvert la marque EarthQuaker Devices au travers de deux effets : l’Aqueduct, un vibrato, et l’Avalanche Run, une pédale de reverb/delay. Le rendu est juste magnifique, j’ai été totalement bluffé… Une véritable révélation ! J’ai même utilisé la pédale signature de Sunn O))) (la Life Pedal, ndlr), qui appartient à Étienne, pour faire des larsens. Si tu veux arracher ton papier peint chez toi, c’est l’effet qu’il te faut !