Non pas qu’on avait oublié David Gilmour depuis « Rattle That Lock » en 2015, ne serait-ce que parce qu’il a assuré une cinquantaine de dates pour défendre l’album, avec, en point culminant un formidable retour à Pompéi, 44 ans après le fameux concert de Pink Floyd enregistré et filmé, sans public, dans ce même amphithéâtre bâti en 80 avant Jésus Christ. Cette fois, les 7 et 8 juillet 2016, il avait convié 3000 privilégiés, et en avait profité pour, lui aussi faire « son » film, mais cette fois sans Roger Waters. Simplement, comme on ne l’avait plus trop vu sur les réseaux, pas même pour s’écharper (souvent), puis se réconcilier (parfois), avec l’autoritaire bassiste, on pouvait penser que, cette fois, il allait enfin goûter aux joies d’une retraite méritée en famille avec son épouse et collaboratrice, Polly Samson, et leurs quatre enfants, dont sa petite dernière, Romany, est plus que douée pour la musique. Sans oublier son cher labrador, Spinee qui se remet tout juste d’une difficile intervention chirurgicale (« Ma brave Spinee a besoin de vos encouragements, elle sort tout juste du bloc, le vétérinaire est confiant mais préfère la garder en observation », a expliqué Gilmour sur Twitter le 28 octobre). Passé cette frayeur, à l’évidence, le musicien vit une période faite de douceur et d’harmonie. Mais cela ne l’a finalement pas empêché de revenir aux affaires avec un album et une tournée.
À première vue, ou écoute, « Luck And Strange » ne semble guère avoir pour mission de faire oublier « Dark Side Of The Moon », ou « The Wall ». Mais cela ne veut pas dire pour autant que Gilmour est méconnaissable, bien au contraire. Plus on avance, depuis son indispensable premier album solo, « David Gilmour », en 1978, plus on se rapproche de ce qu’il est au plus profond. Quoi qu’on en dise, non seulement il pesait plus que lourd dans le difficile équilibre du Floyd, mais il avait même largement de quoi s’exprimer au dehors. On en a une nouvelle preuve flagrante. Au Royaume-Uni, un très large panel n’a pas manqué de rappeler à quel point Gilmour est apprécié et respecté, même sans la bannière Pink Floyd. Tout comme les deux précédents albums, « On An Island » (2006) et « Rattle That Lock » (2015), « Luck And Strange » s’est classé en tête des charts britanniques. Même lorsqu’il ne joue pas la carte de la grosse machine, comme avec sa version de Pink Floyd démarrée au départ comme un nouveau projet solo, Gilmour reste une icône respectée par ses compatriotes. Au-delà de ceux qui ont voté pour le brexit, c’est une autre affaire. En France, nul besoin de sondage pour savoir que ce sont majoritairement des fans nostalgiques du Floyd qui viennent le voir en masse, tout en traitant avec un certain dédain ses productions, sauf lorsqu’il s’agit du « Live At Pompeii », lequel a été certifié double platine par le SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique).
Gilmour l’a bien compris et il n’en perdra pas le sommeil pour autant. Preuve que c’est un homme apaisé, heureux avec sa famille et ses amis, il nous a même ouvert les portes de son studio de répétition du Brighton Center. On a ainsi pu voir l’envers du décor sur YouTube avec de longs passages où il privilégie certes ses nouveaux morceaux plus proches de ses aspirations, mais où il redevient volontiers le musicien du Floyd à travers quelques titres phares. Son public, plus tolérant qu’il y a vingt ou trente ans, accepte le deal, tant qu’il ne me pas au placard Money, Breathe (In the Air), Wish You Were Here ou Comfortably Numb… Lors des premiers concerts de la tournée, à Brighton (pour deux dates de chauffe les 20 et 21 septembre), puis Rome (le 27), il n’a pas manqué de revenir une nouvelle fois sur l’essentiel de « Dark Side Of The Moon », mais sans doute inspiré par la réussite de son ancien complice Nick Mason avec un répertoire plus pointu, ou moins « grand public », sur scène, il a glissé subrepticement un Fat Old Sun tiré d’un « Atom Heart Mother » qui n’a guère fait l’unanimité depuis sa sortie en 1970. On attend toujours l’annonce des dates françaises.
Le morceau qui est en bonne place sur le tout dernier album de Body Count, Merciless n’est pas, loin de là, une simple reprise. Il s’agit en effet d’une création ou, à la limite, une « re-création » (mais une sorte de récréation aussi). Sur une très émouvante litanie d’Ice-T où il dresse un bilan de sa vie mais aussi d’une vision toujours aussi lucide et désabusée du monde qui l’entoure, Gilmour revisite son solo tout au long du morceau. Oubliez les arnaqueurs du streaming, avant de vous procurer le vinyle (top qualité, vous pouvez nous faire confiance), allez tout simplement mater la vidéo sur YouTube. Le guitariste s’est même filmé tout au long de sa longue intervention. Après, vous pourrez ajouter ça à une playlist des meilleures joutes entre rocket hip-hop, quelque part entre le Walk This Way de Run DMC et Aerosmith et le Sing For The Moment d’Eminem (toujours basé sur Aerosmith et son incontournable Dream On). Le solo de Gimour sur Comfortably Numb (version Pink Floyd) a récemment été classé troisième derrière celui d’Eruption d’Eddie Van Halen et de Bohemian Rhapsody de Brian May (version Queen) par les lecteurs du vénérable magazine Total Guitar. Après cette nouvelle performance, Gilmour mérite amplement de gagner au moins une place.