À l'instar du Printemps de Bourges, des Transmusicales de Rennes et des Francofolies de La Rochelle (pour les plus connus), le festival de Saint-Brieuc se déroule dans la ville même. Un paramètre important et qui ajoute encore un peu plus de charme à cet événement atypique et pluridisciplinaire. Olivier Ducruix - Photos : © Olivier Ducruix
À Saint-Brieuc, on sait s'amuser jusqu'au bout de la nuit, mais toujours avec un bon esprit. Ici, rien n'est vraiment démesuré, comme par exemple la taille des 2 scènes en charge d’accueillir la majeure partie de la programmation. La grande, qui comme son nom l'indique, est réservée aux groupes et artistes reconnus, a offert quelques instants magiques aux festivaliers : le rock sexy et sauvage de The Kills, le blues touareg de Bombino, le métissage musical joyeux et groovy de Ibibio Sound Machine, ou encore la grande déflagration sonore trip-hop toujours aussi impressionnante d'Archive. La scène B, située juste à quelques mètres d'une église (n'en déplaise à Christine Boutin), a totalement assumé son côté patchwork (rap, pop, chanson française) avec plus (Octave Noire) ou moins (Cléa Vincent) de bonheur. La musique était aussi à l'honneur au Forum, une salle de 700 personnes environ dotée d'un système son irréprochable. Là aussi, les découvertes ou les confirmations ont été nombreuses : mentions spéciales à Last Train avec un set explosif et ultra rock’n’roll, aux Londoniennes de The Big Moon et leur mélange rafraîchissant de pop punk et de garage, à l'impressionnante maîtrise, tant au niveau du son que du light show, des Français de Las Aves ou encore aux Australiens de Parcels, un quintette de hipsters (avec des looks frisant le grand n'importe quoi) talentueux et grand amateur de funk façon Doobie Brothers. Et comme si cela ne suffisait pas, de nombreux concerts étaient gratuits avec un off du festival (Artbist’Rock) très riche ou via le partenariat entre Art Rock et la RATP, matérialisé par une scène où se sont succédés des musiciens du métro parisien. Qu'importe si, question décibels, cette trente-quatrième édition n'était sans doute pas la plus rock. À Saint-Brieuc, on préfère d'abord écouter de la musique, la partager en famille (Julien Doré, La Femme), même si elle peut être parfois pointue (The Black Angels), faire des découvertes (Slotface, Nova Twins, Shame), plutôt que de consommer des groupes par kilos, d'autres événements déjà bien installés étant spécialisés en la matière. Alors si la pluralité des arts ne vous fait pas peur, si les grandes messes musicales de l'été vous fatiguent au bout de quelques heures, si vous aimez la bonne bouffe (mention spéciale à Rock’N Toques qui fêtait ses 10 ans de bons et loyaux services), pensez à mettre sur votre calendrier une petit croix pour le début du mois de juin 2018.
Depuis la première édition dans les années 80, alors que le festival balayait avec justesse l’univers émergeant des clips vidéo, Jean-Michel Boinet, le directeur du festival, défend avec ferveur le mélange des genres et des arts. Un véritable événement pluridisciplinaire où la passion plane à chaque instant et qui a su conquérir cette année les cœurs de 76 000 festivaliers, répartis dans douze lieux de spectacles et d'expositions. Vivement 2018 pour fêter les 35 ans du festival.
Cette envie de mélanger les genres et de présenter différentes formes d’art (danse, sculpture, vidéo, musique, théâtre) est-elle venue au fur et à mesure des éditions ? Jean-Michel Boinet (directeur du festival) : Lorsque nous avons créé Art Rock en 1983, cette envie était déjà dans le postulat de départ. D’ailleurs, le titre du festival, Art Rock, représente complètement cette diversité artistique. Nous avions bien sûr l’envie de faire des concerts, mais aussi celle de capter cette énergie « rock » quelque peu indéfinissable qui peut se retrouver dans le design, la danse, dans le spectacle de rue qui arrivait. L’idée de départ était donc d’avoir un festival pluridisciplinaire qui se déroule dans le centre de la ville. Ces paramètres sont intimement liés car pour pouvoir proposer ce mélange, il faut aussi avoir à disposition dans un même lieu des structures pouvant accueillir aussi bien de la musique que des expositions, du théâtre, etc…
N’est-ce pas un peu déstabilisant pour un public de festival, pas forcément connaisseur, d’être ainsi confronté à cette diversité artistique ? Il est vrai que, question communication, cela n’est pas facile. Mais je fais confiance à la puissance de la musique pour justement interpeller le grand public et, à travers des grands groupes qui ont un certain renom – cette année The Kills, Metronomy, Archive – qu’il découvre ainsi d’autres artistes moins connus, mais aussi des plasticiens, des chorégraphes, des troupes de théâtre, etc…
Le public d’Art Rock n’est pas seulement constitué de festivaliers purs et durs. Il y a aussi un côté familial très marqué… C’est juste. Cette appropriation de la ville de Saint-Brieuc par le festival passe aussi par une filiation avec les habitants de la ville. Grâce à des spectacles de rue, je pense par exemple à la troupe Royal Deluxe, nous avons appris à faire une sorte de bordel qui attire le public. Il faut savoir que 82% des Briochins adorent le festival. C’est un chiffre complètement incroyable ! Le côté familial est sans doute très présent à Art Rock car j’ai toujours fait en sorte que la gratuité ait une place importante, environ 40% des spectacles sur cette édition. Cette année, le spectacle proposé par la troupe Carabosse est vraiment ce que j’espérais : à la fois une prouesse technique et artistique extraordinaire avec le maniement du feu, et en même temps une grand messe ouverte à tous pour le public (voir photo ci-dessus. Ndr).
Il y a une magnifique exposition de pochettes de vinyles qui illustre très bien l’affiche du festival et du thème général de cette année, « Fantastic Elements »… La moitié de cette collection appartient à ma fille qui s’est passionnée pour le travail du californien Neil Krug, le créateur de l’affiche Art Rock 2017, qui a travaillé pour des artistes tels que Lana Del Rey, Foals, Bonobo… L’autre partie de l’exposition est prise en charge par des jeunes gens de Saint-Brieuc réunis sous le nom de Quelques Messieurs Trop Tranquilles (en hommage sans doute au film réalisé par Georges Lautner en 1972. Ndr) qui, chaque année et ce, depuis 4 ou 5 ans, proposent une sélection de pochettes de disques en relation avec le thème du festival. Il y a des pochettes exemplaires, des incontournables, avec toujours un peu d’humour dans leurs choix.
Diriger un festival pluridisciplinaire, n’est-ce pas la meilleure façon pour perdre la tête ? Non, parce que nous avons toujours en tête un schéma financier que l’on se doit de respecter. Pour qu’une aventure continue comme cela depuis tant d’années dans une « petite » ville de moins de 50 000 habitants, il faut être attentif et ne pas faire n’importe quoi. Art Rock est un festival de centre ville, avec une capacité qui n’est pas extensible à l’infini. Il faut garder tous ces paramètres en tête et faire avec les moyens que l’on a. Après, cela ne nous a pas empêchés d’avoir Franz Ferdinand, Blur, Miles Davies, Bashung, Mano Negra, etc…
Quelques grands souvenirs ? Je me souviens de la venue de Patti Smith, prévue sur la grande scène. Je reçois un coup de fil de son producteur qui me demande si nous avons un petit théâtre à disposition pour qu’elle puisse donner un concert intimiste et acoustique la veille de son concert. C’était génial ! David Bowie, nous avons failli l’avoir, cela s’est joué à 24h près. Il pouvait venir, mais il fallait décaler le festival pour finir un lundi et ça n’était pas possible pour des raisons techniques. On ne peut pas tout avoir dans la vie. Il faut savoir rester humble et continuer son chemin comme nous le faisons. Personnellement, je suis ravi des expositions de cette année et de la programmation. C’est un beau mélange des genres.
Pourquoi les musiciens du métro sont-ils présents à Saint-Brieuc ? Le premier concert professionnel que j’ai organisé, c’était en 1979 avec Sugar Blue, l’harmoniciste qui joue sur le titre Miss You des Rolling Stones. Il se produisait aussi dans le métro à l’époque. Je l’ai finalement pris un peu sous mon aile en organisant quelques tournées… Bref, je suis régulièrement allé dans le métro voir des gens jouer dans un lieu qui reste quand même très difficile. Et aujourd’hui, les musiciens du métro fêtent leurs 20 ans à Art Rock. La seconde chose expliquant cette présence est que le créateur du métro, c’est monsieur Fulgence Bienvenüe qui vient de l’agglomération de Saint-Brieuc. Et comme beaucoup de Bretons prennent le métro via la gare Montparnasse, la connexion entre le festival et ces artistes, même si elle peut paraître improbable sur le papier, est devenue naturelle au fil du temps. Art Rock, c’est aussi ça, ce mélange des genres, de cultures… et de surprises.