Clôture d’un mois de septembre hautement psychédélique entamé par le Paris International Festival of Psychedelic Music (avec les Oh Sees en point d’orgue), la sixième édition de l’antenne angevine du Levitation (née grâce au jumelage d’Angers avec Austin, Texas, et qui se décline également à Vancouver et Chicago) disposait d’une vaste proposition pour faire décoller son public. Flavien Giraud - Photos : © Flavien Giraud
Les festivals psyché continuent de fleurir de par le monde et celui d’Angers est désormais un solide rendez-vous européen qui n’a rien à envier à ses homologues américains. Outre une programmation de pointe, on y retrouve les indispensables stands de posters et de sérigraphies et même un coin guitare avec la possibilité d’essayer les pédales d’effets Earthquaker Devices. Les concerts s’enchaînent sans temps mort sur une paire de scènes, avec à chaque fois jeux de lumières et projections multicolores.
La douceur angevine a des saveurs de Californie en ce vendredi après-midi avec les délicieuses mais jamais mielleuses harmonies 60’s des 4 filles de La Luz. Sur fond d’orgue Farfisa, les plans surf réverbérés de Shana Cleveland à la Stratocaster font rêver d’océan. Pour se faire défriser ce qui peut l’être, les Anglais de Pigs Pigs Pigs Pigs Pigs Pigs Pigs (Pigs x7 pour les intimes) sont autrement plus telluriques : c’est un déversement de stoner heavy échevelé à un volume sonore cataclysmique, le tout emmené par un chanteur au look inopiné, chemise ouverte sur bedaine ostentatoire et nombril décomplexé. Le festival est bel et bien lancé ! Plus tard, il ne fallait surtout pas manquer Prettiest Eyes, surprenant trio latino de Los Angeles plein de fraîcheur, à la fois primitif et diablement entraînant, qui transformerait le plus morne des enterrements en fête des morts. Pas de guitare, mais un batteur-chanteur-showman soutenu par un bassiste en Stetson et un claviériste à longs cheveux et tendances noisy dans un mélange de stridences et d’écho à peine contrôlés. Si chacun a sa propre définition du « psychédélisme », les festivals concernés ne craignent décidément pas les contrastes, depuis les atmosphères mi-post-punk mi-rave party de fin du monde de Soft Moon à la mixité 60’s sunshine des Blank Tapes…
Tête d’affiche du soir, le Brian Jonestown Massacre manque sans doute encore un peu de rodage suite à un important changement de line-up, mais donne déjà un meilleur concert que la veille à La Cigale (Paris), rappelant avec son mur de guitares qu’Anton Newcombe reste un créateur de musique hors pair. Ensuite c’est bonne nuit les petits au pays des monstres avec JC Satàn : ça bastonne, hurle, chahute et on ne donnerait pas cher de l’asile dont ceux-ci semblent s’être échappés, à commencer par Arthur (guitare, moustache et tatouages) et Paula (accent italien et blagues sur les Spice Girls) ! Le redoutable groupe bordelais double et redouble de puissance, fait preuve d’une mise en place ahurissante sans jamais se départir de sa spontanéité.
Le gospel selon Jason Le samedi, c’est une toute autre histoire. Oh, il y a bien le rock nineties nerd à 3 guitares de Brian’s Magic Tears, ou Spelterini qui ne font pas dans le banal, mais plutôt dans l’instrumental expérimental, martial, minimal et abyssal ; la troupe italienne de Go!Zilla, le trio yéyé post-Jacqueline Taïeb Juniore… Il y a bien Sextile, trio de Los Angeles à l’énergie punk conquérante, avec sa batteuse debout, sa claviériste-guitariste aux cheveux bleus et son chanteur peroxydé survolté. Ou même Mien, qui se présente en sextet, emmené par Alex Maas des Black Angels (et co-fondateur du festival) Tom Furse de The Horrors et Rhishi Dhir d’Elephant Stone au sitar. Leur premier album sorti il y a quelques mois se voit transposé en roboratifs mantras multi-couches. Certes. Mais la plus belle prise de l’année, dont le festival pourra s’enorgueillir longtemps, restera indéniablement les Flamingods avec leur transe multiforme, globale et sans frontière, mélange de folie funk orientale trippante, de prog hirsute et de fiesta hippie sous vitamines. Les 5 musiciens s’échangent avec aisances batterie, percussions, et divers instruments à cordes électrifiés tout au long d’un concert revigorant et jubilatoire. À ce stade, le pari est d’ores et déjà rempli… Jusqu’au miracle Spiritualized, sublime épiphanie qui vous ferait presque oublier tout le reste. Les symphonies de Jason Pierce s’élèvent comme une évidence : il y a du divin dans les mélodies de cet homme-là. Soutenu par un groupe habile et les voix enivrantes des choristes, l’ex-Spacemen3, assis sur le côté, joue recroquevillé sur sa guitare, chante avec ce timbre un peu brisé, mais cette musique à faire pleurer les cieux captive et transperce. « And Nothing Hurt », le nouvel album, est tout juste sorti, et pourtant des morceaux comme I’m Your Man et le bien nommé Perfect Miracle sonnent déjà comme des classiques et semblent exister depuis toujours. Le genre de chansons qui mériteraient de partir dans l’espace avec la prochaine sonde Voyager…
Si les milliardaires en mal d’émotions se tournent aujourd’hui vers SpaceX et Elon Musk pour s’offrir un voyage lunaire, le reste des mortels – du moins ceux encore dotés d’un semblant de cœur quelque part près de leurs poumons asphyxiés – peuvent quant à eux s’en remettre à Jason Spaceman pour s’extraire de la pesanteur d’ici-bas. Levitation n’a jamais si bien porté son nom…