Avec le bien nommé « Ascension », troisième album sans concession d’une incroyable densité au concept toujours aussi marqué, Regarde Les Hommes Tomber ne cesse de progresser vers les sommets de la reconnaissance. Du black metal lumineux, comme quoi, tout est possible.
Propos recueillis par Olivier Ducruix - Photo : © David Fitt
Un premier album en 2013, un second en 2015 et ce nouvel album en 2020. Cinq ans entre les deux derniers : vous aviez besoin d’un laps de temps plus important pour faire évoluer votre musique ? Tony A.M. (guitare) : D’une certaine manière, oui. Nous avons fait beaucoup de concerts après la sortie de notre second disque. À cette époque, nous avons changé de chanteur et j’habitais encore à Paris, alors que le groupe était basé à Nantes. Du coup, nous avions moins de temps pour répéter, nous étions souvent sur la route, et il nous était difficile de nous réunir pour travailler sur de nouveaux morceaux. Une fois la tournée achevée, j’ai pu revenir dans la région nantaise. Finalement, entre la composition des titres et la réalisation, cela nous a pris un an.
Cinq années, cela laisse le temps de la réflexion pour évoluer, voire changer vos méthodes de travail, non ?
Le groupe s’est formé à la base autour de l’autre guitariste, Jean-Jérôme, qui a composé pratiquement seul le premier album. Moi, j’ai amené le concept et l’imagerie qui nous entourent. Sur « Exile », le suivant, c’était un peu un mélange entre les riffs toujours apportés par Jean-Jérôme et un travail plus collégial. Pour le nouveau, ce fut différent. Contrairement à nos précédentes réalisations, j’ai amené la plupart des riffs présents sur « Ascension » que nous avons bien sûr retravaillés ensuite tous ensemble. J’apportais des idées bien définies pour une guitare, ce qui laissait la place au second guitariste pour y mettre les siennes. Ce changement nous a sans doute permis de nous renouveler, tout en gardant l’esprit d’origine du groupe. À moins d’être un génie, le risque est de se répéter, surtout dans le metal. Notre batteur participe aussi à la phase de composition. J’aimerais que nous continuions dans cet esprit, à savoir que chacun de nous amène ses compositions. Même si ce n’est pas évident, car nous avons tous des personnalités différentes dans le groupe avec de forts caractères, je trouve cette méthode de travail beaucoup plus enrichissante.
« Ascension » est le troisième volet d’un triptyque. Tu évoquais un concept autour du groupe. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
Tout le concept du groupe tourne autour de la phrase Regarde Les Hommes Tomber, très poétique et tragique, assez compliquée à traduire en anglais, qui a influencé notre musique, nos visuels et nos paroles, avec un côté religieux marqué, mais également ésotérique. Nous travaillons avec un parolier qui s’inspire de ces références religieuses et de la mythologie pour raconter des histoires. Au fur et à mesure, nous avons développé tout un concept autour du groupe, qui nous dépasse totalement d’une certaine manière. Nous avons créé une histoire au départ et libre à chacun d’y trouver ses propres interprétations. Quant au triptyque, l’idée est venue de notre travail avec Førtifem (un duo d’illustrateurs bien connu de la scène metal, ndlr). Si notre musique a évolué au fil du temps, nous voulions qu’il y ait une vraie continuité dans nos artworks. Nous trouvions ça sympa d’avoir des visuels qui se suivent quand tu mets les trois vinyles côte à côte.
Vous êtes très exigeants avec votre musique qui n’a cessé d’évoluer avec le temps, avec l’aspect visuel et le concept qui l’accompagnent. Comment arrivez-vous à travailler avec un parolier extérieur alors qu’il n’est pas vraiment dans l’intimité du groupe ? C’est une très bonne question… Lorsque le groupe s’est créé, nous n’avions pas de chanteur et, quand nous en avons trouvé un, nous voulions qu’il soit en retrait pour que notre musique reste l’élément principal. Au tout début de RLHT, nous avons sorti deux titres sur Bandcamp et il nous fallait des paroles. Un de nos potes, qui était à l’époque à l’université, avait un très bon niveau en anglais, et était passionné par les textes mythologiques et la Bible, s’est proposé pour en écrire. C’est aussi grâce à lui que nous avons pu par la suite étoffer notre concept de départ. Le fait qu’il soit en dehors de notre vie de groupe est vraiment intéressant. Nous lui envoyons les morceaux et c’est après avoir fait sa propre interprétation qu’il passe à la phase d’écriture. La seule contrainte que nous lui avons donnée pour « Ascension », c’était que le dernier titre devait être en français et qu’il devait utiliser Regarde Les Hommes Tomber pour la toute dernière phrase.
En septembre 2019, lors du Red Bull Music Festival Paris au Trianon, Regarde Les Hommes Tomber a partagé la même scène avec Hangman’s Chair. Quels souvenirs gardes-tu de cette collaboration ?
C’est parti d’une idée de Førtifem, le duo de graphistes avec qui nous travaillons depuis le début. Nous avons choisi Hangman’s Chair d’abord parce que les gars du groupe sont de super musiciens, ensuite parce que cela donnait un petit côté « Francis Caste Family » (Francis Caste a produit les deux derniers albums de RLHT et ceux de Hangman’s Chair, ndlr). Les deux groupes se sont retrouvés à bosser dans la même pièce le temps de trois week-ends. C’était génial de revisiter certains de nos titres avec des idées de Julien (le guitariste de Hangman’s Chair, ndlr), tout en prenant en compte l’accordage plus grave des gars. Nous avons fait ce projet parce que nous le trouvions sympa, mais nous ne nous attendions pas forcément à une telle réaction lors du concert au Trianon et que les gens nous sollicitent pour que nous recommencions cette collaboration. Nous aurions dû retravailler un set spécialement pour le Roadburn Festival en avril dernier et faire de même pour le festival de Dour en juillet… Tout ça est bien sûr décalé à l’année prochaine.
Votre album est sorti fin février 2020. On imagine aisément que cette crise sanitaire sans précédent a dû remettre en cause pas mal de choses pour le groupe…
Nous avions une quinzaine de dates de calées jusqu’à cet été, elles ont toutes été annulées. Le 13 mars 2020, nous sommes partis pour jouer au Liévin Metal Fest, dans le nord de la France. Nous avons installé notre matos, mangé avec l’équipe technique du festival. Pendant le repas, Edouard Philippe a fait son discours en annonçant que tous les événements étaient interdits. Du coup, nous sommes rentrés chez nous, le confinement débutant officiellement quelques jours après… Et nous n’avons toujours pas fait de concert pour défendre cet album. Au début, tu acceptes cette situation exceptionnelle, de toute manière, tu n’as pas le choix. Ensuite, c’est plus un sentiment de frustration qui a prédominé, surtout que « Ascension » a été vraiment bien accueilli, que nous devions aussi refaire le Hellfest cette année... Bref, j’espère que cela ne va pas fausser sa promotion. Nous n’avons qu’une envie, c’est de défendre le disque sur scène. Quand ? Cela reste encore à définir…
Pour finir sur une note plus joyeuse, quels sont les guitaristes qui ont pu t’influencer lorsque tu as commencé la musique ?
J’ai commencé par la basse quand j’étais adolescent et je suis venu à la guitare électrique parce que personne ne voulait jouer les riffs des morceaux que j’écoutais (rires) ! Mon père avait une vieille Rickenbacker et un Marshall qui traînaient dans un coin. C’est comme ça que je me suis lancé. Metallica a été ma toute première grosse influence et Seek And Destroy, le premier titre que j’ai appris à jouer… grâce à Guitar Part ! Je n’ai jamais été un soliste, j’étais donc plus attiré par le légendaire jeu rythmique de James Hetfield que par les solos de Kirk Hammett. Mais la grosse révélation, ce qui m’a donné envie d’être dans un groupe et de monter sur scène, c’est quand j’ai vu Slayer à Bercy en 2004. Ce soir-là, j’ai pris une énorme baffe, c’était comme une seconde naissance. Le duo Jeff Hanneman/Kerry King m’a totalement scotché. Hannemann, c’était mon idole à l’époque et je connaissais par cœur, à la guitare, les cinq premiers albums de Slayer. Les autres guitaristes qui m’ont influencé, dans le metal extrême, sont Chuck Schuldiner de Death, qui a un grand sens de la mélodie, et Trey Azagthoth de Morbid Angel. Ce gars vient de l’espace. Encore aujourd’hui, quand je réécoute « Altars Of Madness » (le premier album de Morbid Angel paru en 1989, ndlr), je n’arrive pas à capter ce qu’il fait sur certains passages. Finalement, tous ces musiciens résument bien mon style : dans Regarde les Hommes Tomber, je suis le guitariste rythmique qui doit jouer propre et super droit, avec très peu d’effets, alors que Jean-Jérôme est plus porté sur le son. Mon approche de la guitare est définitivement plus tournée vers les riffs.
Rêve absolu « Je ne suis pas spécialement fan de ce groupe, mais c’est grâce à Ghost que j’ai d’abord découvert la Gibson RD Artist. Elle a été faite en version Black Beauty dans les années 70, mais elle n’a jamais été rééditée par la marque. Mon rêve absolu est d’en avoir une, mais c’est un modèle très rare ! Je me suis donc rabattu sur la Hagstrom Fantomen, le modèle utilisé par les guitaristes de Ghost, une super guitare. J’ai juste remplacé un des micros par un Seymour Duncan SH6. Le seul problème est qu’elle est incroyablement longue… Et pourtant, je suis grand ! Fin 2019, nous avons décroché un endorsement avec Fender et Jean-Jérôme, l’autre guitariste de Regarde Les Hommes Tomber, a reçu une Strat en configuration HH. Et ça sonne du tonnerre, avec un son très précis dans les aigus. »