Pour leur premier album, les Lillois de Stengah n’ont pas fait les choses à moitié en décrochant une signature avec le label Mascot Records et en réalisant un « Soma Sema » aussi palpitant qu’exigeant.
Stengah comme nom de groupe, ce n’est pas un choix anodin, surtout pour les fans de metal extrême…
Eliott Williame (batterie) : Au début du groupe, nous avions du mal à trouver un nom de groupe. C’est d’abord un choix par rapport à sa consonance, pas forcément pour ce qu’il représente. Il y a bien sûr une référence au morceau du même nom de Meshuggah, difficile de dire le contraire, mais ce n’est en aucun cas un hommage direct. On retrouve bien sûr des influences de ce groupe dans notre musique, mais aussi du Lamb Of God, du Mastodon ou du Gojira. Stengah ne veut rien dire, c’est un mot énigmatique dont la prononciation nous évoque quelque chose de puissant.
Le groupe s’est créé en 2013. Même s’il y a eu un EP trois ans plus tard, votre premier album sort en mars 2022, soit neuf années avant de vous lancer dans la grande aventure du long format. Comment expliquez-vous une gestation aussi longue ?
EW : Il y a plein de circonstances pour expliquer ce laps de temps et on ne peut pas oublier la pandémie qui a ajouté deux années supplémentaires… Certains morceaux de « Soma Sema » datent de presque dix ans. Ils ont pris le temps d’évoluer car c’est un assemblage d’idées, de thématiques, et nous avons fait le choix d’être patients pour être sûrs du résultat. C’est pareil pour la scène : le groupe a mis trois ans avant de jouer live, non pas parce que nous nous sentions incapables de nous produire devant un public, mais parce que nous voulions que l’identité du groupe soit forte dès le départ.
Maxime Delassus (guitare) : Sans oublier le démarchage pour trouver un label, un manager, etc… C’est aussi une étape qui prend beaucoup de temps car nous voulions être certains de choisir les bonnes personnes pour défendre notre projet.
Mais quel a été le déclic pour vous mettre le pied à l’étrier ?
EW : Nous avons gagné un tremplin pour aller jouer durant l’été 2017 au festival Wacken Open Air, en Allemagne. Ce fut un vrai tournant, nous n’étions plus un groupe débutant et, à partir de ce moment, nous avons réalisé qu’il y avait un réel intérêt pour notre musique, tant au niveau du public que de certains médias.
MD : Nous avons pris le temps de faire les choses bien sans nous précipiter. C’est sans doute un luxe de ne pas avoir une deadline, mais vu que nous n’étions pas signés lorsque nous avons commencé l’enregistrement de l’album et que le groupe ne s’était pas professionnalisé, il n’y avait aucune pression.
Dans « Soma Sema », vous utilisez beaucoup la polyrythmie, une approche peu évidente pour bon nombre de musiciens. Chez Stengah, cette technique semble totalement naturelle. Est-ce le résultat de longues heures de répétitions à souffrir pour rester dans le rythme ?
MD : Ce sont en effet des heures, des semaines, des mois et même des années de travail... C’est même quelque chose que nous entretenons très régulièrement, à chaque répète : si nous nous relâchons pendant un certain temps, nous perdons cette cohésion qui fait la force de nos morceaux.
EW : Il faut désapprendre certaines techniques figées, comme celle de suivre un tempo basique. Je dis souvent aux autres musiciens que, à l’intérieur d’une mesure, je ne compte pas de façon binaire, mais que je vais plutôt la visualiser comme un segment et, à l’intérieur de celui-ci, je vais me placer à certains endroits très précis. Ce qui crée la polyrythmie, c’est que je vais garder une rythmique basique au charley et à la caisse claire, tout en plaçant des accents différents à la grosse caisse, sur les cymbales, les riffs de guitares apportant également ce côté très décalé.
Eliott, tu es le principal compositeur du groupe et le batteur. N’était-ce pas plus simple pour toi d’adhérer totalement à cette approche ?
EW : Tout à fait, c’est pour ça que j’insiste sur le fait de désapprendre cette discipline métrique liée au binaire. Maxime a dû s’adapter pour apprendre des riffs composés par un batteur et non par un guitariste. Vu que je n’ai pas de technique de guitare, je vais aborder l’instrument de manière non conventionnelle.
MD : Techniquement, à la guitare, il vaut mieux oublier l’aller-retour. Au début, c’était loin d’être évident car j’ai une formation classique. Je ne pense pas qu’écrire la musique m’aiderait à mieux maîtriser la polyrythmie, il faut la ressentir, l’écouter… et beaucoup travailler en répétition avec tout le groupe pour que le résultat groove et que ça ne soit pas trop mécanique. Aujourd’hui, cette approche du rythme fait partie intégrante de mon jeu.
Même si « Soma Sema » emprunte beaucoup au metal technique, on sent une volonté de ne pas trop s’enfermer dans un style, avec des passages plus atmosphériques, quelques références au rock progressif. On trouve même sur le titre The Overman, une partie jouée par un saxo, un instrument loin d’être assimilé à l’univers du metal et déjà présent sur votre EP…
EW : J’ai eu un groupe de jazz pendant de nombreuses années et j’adore le saxophone. C’est donc plus un hommage qu’une volonté de casser les codes. Pour le reste, nous n’avons pas de limites et la musique s’est imposée d’elle-même via les thématiques que nous avons apportées ou grâce à l’arrivée de notre chanteur. Sa voix nous a poussés à développer une musique plus agressive. Comme quoi, l’évolution d’un groupe ne tient pas à grand-chose. Peut-être qu’avec un autre chanteur, notre style aurait été totalement différent…
Molybaron chez Inside Out Music, Hangman’s Chair chez Nuclear Blast et Stengah chez Mascot Records : que vous inspirent ces récentes signatures de groupes français estampillés metal sur des gros labels étrangers ?
EW : Gojira a ouvert une sorte de grande porte pour le metal français grâce à l’album « Magma ». Aujourd’hui, des non métalleux écoutent Gojira, encore plus avec « Fortitude ». Cela a permis à un public plus large et à des nouveaux médias, autant ici qu’à l’étranger, de se rendre compte qu’il y avait énormément de propositions de groupes en France.
Sept et match
Maxime Delassus nous parle de son modèle favori. « Ma guitare principale est une Charvel sept cordes, la seule disponible au catalogue de la marque, modèle signature d’Angel Vivaldi. J’aime cette guitare car elle casse les codes : une 7-cordes de type Strat avec une tête renversée, ça n’est pas commun, surtout dans l’univers du metal. Même dans les specs, je la trouve quelque peu atypique. J’utilise un accordage standard avec la septième corde dropée en La avec un tirant de .009-.046 pour le standard et .070 pour la corde de La. C’est le bon équilibre pour avoir assez de tension sur la septième corde tout en gardant un côté light et un son brillant pour les autres. »