Parfois considérés comme le vilain petit canard de la scène grunge dans les années 90, les Afghan Whigs avaient jeté l’éponge à l’aube du 21ème siècle pour finalement se reformer et sortir un excellent « Do The Beast ». en 2014. Pas moins de 3 ans après ce retour aux affaires, Greg Dulli, frontman charismatique et leader naturel, et ses compères livrent un huitième album, « In Spades », moins frontal que son prédécesseur, mais toujours aussi envoûtant. Propos recueillis par Olivier Ducruix - Photo : © Chris Cuffaro
« Pour la promo de l’album, j’étais hier à Londres, aujourd’hui à Paris, demain à Berlin et ensuite, je finis par Milan. Je suis supposé rentrer chez moi après tout ça… Mais voilà, je me suis dit que je n’étais jamais allé en Islande. Je me suis donc préparé un petit circuit : je vais allé au Lagon bleu (une station thermale situé au sud-ouest de l’Islande. Ndr), faire de la motoneige sur un glacier et prendre un bateau pour aller voir les aurores boréales et je finirai mon voyage en visitant quelques musées. Tu sais, je suis fan de Sigur Rós. C’est un groupe incroyable qui a inventé son propre langage (le Volenska. Ndr). J’adore ! Attends, avant de commencer l’interview, bois un verre d’eau. Je ne voudrai pas que tu sois déshydraté (rires) ! »
Peut-on dire que « In Spades » est la suite logique de « Do The Beast », un album qui célébrait la reformation du groupe ? Greg Dulli (chant/guitare) : Logique, je ne sais pas… J’ai pour habitude de dire qu’un album, c’est juste la prochaine chose que tu fais, une nouvelle étape. En comptant tout ceux réalisés avec mes différents groupes, celui-ci est mon quinzième disque en 30 ans. Et, à chaque fois, c’est comme un moment dans ma vie, comme une expérience que je dois conduire jusqu’à la fin : composer les morceaux, finir les paroles qui vont les accompagner, les enregistrer, trouver le bon ordre pour que le résultat final soit cohérent. Chaque disque est différent, chaque disque a sa propre personnalité car il dépend des aléas de la vie qui accompagnent cette période. L’année dernière, notre guitariste est tombé malade (Dave Rosser s’est vu diagnostiquer un cancer du côlon inopérable. Ndr), ce qui l’a empêché de partir en tournée avec nous. J’ai également perdu certaines personnes entre les 2 disques… Parfois, j’ai l’impression de leur parler au travers des chansons… Le temps ne s’arrête pas et tu ne peux rien y faire. Je n’ai pas peur de ça, au contraire. J’aime interagir avec le temps et ma musique… Mais bon, pour répondre à ta question : oui, c’est absolument une suite logique (rires) !
« In Spades » est ton quinzième album. Avec le temps qui passe, n’as-tu jamais eu peur de ne pas trouver de nouvelles idées, d’avoir la force de te remettre en question, d’être confronté au syndrome de la page blanche ? Mais c’est à chaque fois la même chose. Je viens de finir ce disque et c’est une nouvelle page blanche qui est devant moi (sourire)… Tu peux me croire, à chaque fois que je finis un disque, je me dis : « ok, c’est fait. Maintenant, j’arrête, je n’ai plus rien à dire. » Et pourtant, je suis encore là ! Composer, c’est comme ce comporter avec un vieil ami. Tu peux ne pas le voir pendant un certain laps de temps et puis, un jour, tu lui dis : « alors, que deviens-tu ? Et si on remettait ça ? » Je vais te faire une confidence pour ce qui est de l’élaboration de « In Spades » : 5 chansons ont été écrites en 1 semaine. Les 5 autres ont pris 1 an (rires) ! Et je ne te dirai pas lesquelles…
Était-ce parce que tu étais occupé par d’autres projets ? Non, même pas, c’est comme ça et je ne l’explique pas. Tout ce que je sais, c’est que jamais auparavant il m’était arrivé de composer 5 titres en 1 semaine. C’est la première fois dans toute ma vie que cela m’arrive ! Cela m’a tellement surpris que je me suis dit : « c’est complètement dingue ! » Fort heureusement, les morceaux composés par la suite se sont parfaitement accommodés avec la première salve. C’est comme ça que j’aime la vie : quand tu te réveilles le matin et que tu ne sais pas ce qui va se passer. Quand je suis arrivé à Paris pour cette journée promo, je ne savais pas que j’allais voir la Tour Eiffel et encore moins que j’allais rencontrer des journalistes vraiment extra. Tu écris des articles, donc tu sais toi aussi : parfois, ça vient tout seul, et d’autres fois non. Et quand c’est le cas, que ça bloque, tu dois continuer à y croire. Après cette interview, toi aussi tu seras devant une page blanche, comme moi après chaque sortie de disque.
En tant que songwriter, as-tu des petites habitudes quand tu entres dans une phase d’écriture ? Par exemple, certains s’astreignent à composer tous les jours… Je pense que depuis que j’écris des morceaux, c’est à dire depuis que j’ai 15 ans, j’ai toujours plus ou moins la même façon de procéder : j’ai un bout de mélodie dans la tête que j’essaye de sculpter petit à petit. Et si je n’ai pas de paroles, alors je fais des lalala pour avoir une meilleure idée. Chaque songwriter a sa manière de composer… Et je ne suis pas du genre à me mettre devant une table tous les jours pour attendre que l’inspiration vienne… Il y a quelques jours, juste avant de venir en Europe pour la promo de l’album, je travaillais sur une nouvelle chanson. Un couple d’amis de Chicago est passé me voir. J’étais alors en train d’écouter une station de radio française, FIP. Une chanson d’un artiste français passait sur les ondes, avec du piano. D’un coup, cela m’a donné une idée de mélodie pour mon morceau et il fallait absolument que je la retranscrive. Mais mes amis n’arrêtaient pas de tambouriner à ma porte, ne comprenant pas pourquoi je ne leur répondais pas (rires) ! J’ai finalement ouvert la porte pour leur dire : « entrez, servez-vous quelque chose à boire et asseyez-vous, je reviens de suite ! » J’ai pu ainsi aller au bout de mon idée en l’enregistrant sur mon téléphone. Tu sais, je ne cherche pas à courir après une idée. C’est elle qui se manifeste dans un coin de ma tête en me disant qu’elle est là (rires) !
Tu as toujours aimé surprendre les auditeurs. Pour exemple, le premier morceau de l’album Birdland, sans guitare et sans batterie. Tu aurais très bien pu le mettre au milieu, ou à la fin du disque, mais non, il est en ouverture de « In Spades »… Tu as été surpris, n’est-ce pas ? C’est parfait. Ma mère a dit la même chose que toi ! Elle n’a d’ailleurs pas compris pourquoi je mettais ce morceau en premier. Je savais qu’en ouvrant l’album avec ce titre, cela allait sans doute déranger les fans de la première heure. Tant mieux ! J’aime ce morceau, sans doute parce que je n’avais jamais composé une chanson de cette manière. Il y a un peu de guitare, mais juste à la fin. Il y a surtout 6 parties différentes de mellotron… Et je vais tout faire pour pouvoir le jouer en live !
Afghan Whigs a toujours été considéré comme un groupe culte. Est-ce un statut que tu revendiques pleinement ? Bien sûr ! Pourquoi ne pas assumer ce que tu es vraiment ? Avons-nous joué régulièrement dans des stades ou vendu des millions d’albums ? Non. Notre public est plutôt restreint, mais toujours très fidèle, et ça me convient parfaitement. Je préfère avoir 15 000 vrais fans, plutôt que des millions qui ne seraient pas vraiment concernés par notre musique.
Dans les années 90, Afghan Whigs était décrit comme « le plus soul des groupes de grunge ». La soul music a toujours été une constante dans vos albums, dans le dernier aussi d’ailleurs… C’est juste… Je suis né quand ma mère avait 17 ans. J’ai l’impression qu’elle est autant ma mère qu’une amie sur qui je peux compter… Elle avait une grande collection de disques et, comme elle était une grande fan des productions de la Motown ou du label Stax, cette musique a toujours baigné une très grande mon enfance. Bien sûr, j’ai ensuite découvert d’autres groupes grâce à des potes, tels que Led Zeppelin, The Damned, mais tu n’oublies jamais la première musique que tu as écoutée. Elle est en moi et elle ne m’a jamais quitté.
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