Après deux EP qui ont explosé les compteurs des plateformes de streaming avec des dizaines de millions d’écoutes cumulées, le duo canadien sort son premier album. Virulent et salement rock, « Bummer » prouve que le DIY n’est pas une fin en soi, mais un vrai choix artistique.
Vous vous êtes rencontrés à l’âge de quatre ans. Quand l’idée de jouer sous le nom de Cleopatrick a-t-elle réellement germé dans votre esprit ?
Ian Frazer (batterie) : À l’âge de 8 ans, nos parents nous ont acheté au même moment des guitares acoustiques pour Noël. Du coup, nous avons commencé à en jouer ensemble, en nous montrant respectivement des riffs. Bon, notre niveau à l’époque laissait un peu à désirer, mais c’était vraiment fun de partager ces parties de guitares et de progresser ensemble. Ensuite, au lycée, nous avons joué tous les deux dans un groupe. Lorsque nous sommes partis à l’université, chacun a pris une trajectoire différente et c’est comme ça que Cleopatrick est né. Nous avions dans l’idée de continuer en trio et nous avons cherché un bassiste, mais il n’y en avait pas dans notre ville. Nous avons donc commencé à répéter à deux, en nous disant qu’on finirait bien par en trouver un. Et comme cela a rapidement fonctionné dans cette configuration, nous avons continué ainsi…
Lorsque vous avez commencé cette aventure, quels sont les groupes ou les albums qui vous ont inspiré ?
Luke Gruntz (chant/guitare) : Arctic Monkey, le premier album de Highly Suspect, The Districts, un groupe de Pennsylvanie que j’adore depuis longtemps, Jack White… En tant que guitariste, Jimi Hendrix a beaucoup influencé mon jeu. Je n’ai pas forcément essayé de l’imiter, mais son approche de la guitare m’a aidé à trouver la mienne. J’ai toujours aimé son côté chaotique et sa manière de produire des sons vraiment étranges. Je n’ai jamais été un musicien technique, ni un fan du jeu d’Eddie Van Halen. Je suis plutôt de l’école Jack White, j’aime sa manière d’utiliser la guitare comme une arme. Lorsque nous avons commencé à réellement jouer en duo, je savais que la guitare allait être l’élément central du groupe et je voulais être sûr d’être à la hauteur, que mes plans auraient quelque chose d’unique, de personnel. Le plus important était de donner de l’émotion à mon jeu et non d’être considéré par les gens comme un guitariste technique.
On dit souvent que le fait d’être un duo conditionne quelque peu la façon de composer. Qu’en est-il pour vous ?
C’est tout à fait vrai. Cela nous force à être plus critiques sur l’écriture et à travailler plus durement pour exploiter au mieux nos idées. La configuration de mon matériel m’empêche de faire des barrés, je privilégie plus les notes simples pour avoir un rendu sonore efficace, surtout dans les basses. Lorsque nous composons un morceau et que nous l’enregistrons, nous gardons toujours à l’esprit qu’il doit sonner en live. En studio, nous ne cherchons pas à en rajouter, cet album est le reflet de ce que nous pouvons être en live.
Le titre Hometown que vous avez sorti en 2017 dépasse aujourd’hui les 50 millions de streams sur Spotify, Good Grief, l’un des morceaux de « Bummer », approche les 3 millions. Vous attendiez-vous à un tel engouement autour de votre musique ?
Nous aimions Hometown, nos amis aussi, mais nous ne nous attendions sincèrement pas à un tel engouement. À l’époque où nous avons mis ce titre en ligne, il n’y avait pas plus de quinze personnes qui venaient nous voir en concert. Et aujourd’hui, plus de 50 millions de gens ont écouté ce morceau… C’est totalement incroyable (rires) !
Cette reconnaissance par le biais des plateformes de streaming a-t-elle changé votre approche de la musique en tant que groupe ?
Ian Frazer : Je pense que cela nous a donné le sens des responsabilités et nous avons très vite réalisé que ce groupe ne serait pas qu’un petit projet que l’on fait entre potes pour s’amuser. Qu’autant de personnes écoutent notre musique nous a apporté énormément de confiance : nous savions que, d’un point de vue artistique, nous étions dans la bonne direction.
« Bummer » mélange les styles : on y trouve des riffs très heavy rock avec une attitude punk, des mélodies empruntés à l’indie rock des 90’s, avec pas mal d’influences hip hop, dans les parties de batterie, mais également dans certains passages à la voix. Un sacré challenge que de mixer tout cela dans un même album, non ?
Luke Gruntz : Notre musique nous vient naturellement de cette façon. Rien n’est prémédité, ce qui ne nous empêche pas de l’analyser et d’être attentifs à ce que chaque style ne soit pas exagéré parce que ça enlèverait de l’impact à nos chansons. Par exemple, si nous avions poussé le côté hip hop dont tu parles en ajoutant plein d’overdubs, une basse au synthé ou en samplant la batterie, l’album n’aurait pas sonné ainsi, à savoir de façon honnête. Alors oui, quelque part c’est un challenge que nos influences ne prennent pas le dessus sur notre musique, encore plus quand nous sommes en studio. Nous voulions faire un disque honnête, qui nous ressemble et traduit ce que nous aimons, autant dans la musique que dans les vidéos mises en ligne. Et nous sommes fiers du résultat.
Le duo canadien a créé New Rock Mafia, un collectif de trois groupes (Cleopatrick, Ready The Prince, Zig Mentality) dont le but est de défendre la vraie musique à guitare.
Luke Gruntz : « Nous entendons par « vraie musique à guitare » celle qui est jouée avec sincérité. Depuis longtemps, le rock est devenu une machine à fric et a perdu sa pureté. Lorsque nous avons commencé le groupe, il nous a été difficile de trouver des modèles dans les musiciens actuels, des gens qui se souciaient des problèmes des jeunes et qui parlaient notre langage. À la place, nous avons eu le droit à des quadragénaires plus préoccupés qu’autre chose de composer la prochaine pub pour une marque de voiture connue, des groupes comme The Black Keys qui ont écrit le même riff encore et encore, juste en changeant de tonalité. À nos débuts, nous étions deux gamins qui aimaient le son de la guitare, mais ça nous paraissait incroyable de ne pas pouvoir s’identifier à des formations ou des artistes qui écrivent des textes sur des choses bien réelles et non sur le fait d’être complètement saoul, en tournée ou avec des nanas. La majorité des gens en a marre de tout ça. Avec ce collectif, nous voulons partir en mission et proposer une musique honnête, sans artifice, en studio comme dans la communication, sans une grosse maison de disques pour nous dire ce que nous devons faire. Notre public adhère totalement à ce discours, beaucoup de gens viennent nous parler après nos concerts pour nous dire que ce qu’ils aiment chez Cleopatrick, en plus de notre musique, c’est notre honnêteté. »