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CINÉMA - Interview de Björn Tagemose, le réalisateur de Gutterdämmerung

Présenté par ses producteurs comme le plus bruyant film muet sur Terre, « Gutterdämmerung » sera projeté sur grand écran à l’Élysée Montmartre le 10 février 2017. Björn Tagemose, le réalisateur du film, nous en dit plus sur ce projet ambitieux. Un ciné-concert presque à l’ancienne avec un casting de rêve (Iggy Pop, Lemmy Kilmister, Grace Jones, Josh Homme, Henry Rollins, Tom Araya, Mark Lanegan…) et au final, un pur moment de rock’n’roll. Propos recueillis par Olivier Ducruix

Au sous-sol du Studio St-Louis, là où « Gutterdämmerung » s’est vu habiller d’effets spéciaux en post-production, se trouve une petite ( ?) salle de projection. Grand écran, système son puissant et diablement précis, canapé moelleux d’une longueur inimaginable : des conditions rêvées pour découvrir les premières images de « Gutterdämmerung ». Björn Tagemose supervise le tout, intervient pour demander si tout se passe bien, discute avec chaque journaliste présent en mélangeant le français et l’anglais avec un bel accent flamand. Réalisateur et photographe reconnu et respecté pour son travail avec des grandes marques dans le milieu de la mode, Björn Tagemose n’a rien à voir avec les clichés du genre. Ici, l’arrogance et la suffisance n’ont pas leur place. L’homme est bavard, attachant, passionné… et passionnant. Un vrai régal, tout comme cette mise en bouche visuelle d’un film décidément hors norme.

D’où est venue l’idée de sortir un film en noir et blanc, muet, au 21ème siècle ? Ah oui (rires) ! C’est une bonne question… J’aime les musiques dures, mais j’aime aussi le romantisme qui se dégage des vieux films. Ils étaient simples et très visuels. J’ai longtemps vécu en Belgique, ma femme est belge, et j’ai toujours été impressionné par la qualité des écrivains de ce pays, comme en France d’ailleurs, mais je suis scandinave et, en Suède, quand on regarde par exemple les nouvelles séries télévisées suédoises, on se rend compte que le côté muet est encore très présent. L’histoire peut être complexe, mais il n’y a pas beaucoup de dialogues et c’est finalement la caméra qui s’occupe de narrer l’histoire. Pour être honnête, « Gutterdämmerung » n’est pas à 100% muet et on peut le rapprocher des westerns spaghetti à la Sergio Leone dans lesquels il y a pas mal de longues séquences sans aucun dialogue.

Les premiers extraits que nous avons pu voir font penser au travail de Fritz Lang et de Gustave Doré… Absolument ! Gustave Doré pour le langage visuel de la lumière. Il est pour moi le maître de ce qu’on appelle aujourd’hui l’art déviant. Il est le Edgar Allan Poe du graphisme. J’adore Gustave Doré et je pense que tous les fans de metal sont comme moi car on peut y voir tout un tas de connexions avec la mythologie, avec la mort, tout ce qui touche à des ambiances sombres. Je me suis inspiré de son travail sur la lumière, cette façon qu’il avait de créer des ombres, avec cette fameuse lune, qui allaient du noir jusqu’au gris. Il ne faut pas nécessairement un gros budget pour faire un beau film. Il faut une grande lampe et, surtout, savoir comment on va l’utiliser. Un jour, j’ai eu la chance de rencontrer Helmut Newton (grand photographe de mode et de nus féminins. Ndr). Il m’a avoué avoir fait toutes ses photos avec une lampe et un assistant.

Quel a été le plus gros challenge à relever lors de la conception du film ? Retranscrire précisément à l’écran ce que tu avais en tête ? À part l’aspect financier, le plus gros challenge a été de tout unifier afin que le film soit au final vivant, un peu comme un opéra. Ce n’est pas qu’un simple film, c’est aussi un spectacle qui se déroule en live.

Dès le début du projet, tu avais donc l’idée de faire de « Gutterdämmerung » un ciné-concert ? Tout à fait et l’idée m’est venue après avoir assisté à la projection du film « Le cuirassé Potemkine » (film muet soviétique réalisé par Sergueï Eisenstein et sorti en 1925. Ndr) accompagnée par un orchestre de 100 musiciens. La scène où une mère court après le landau de son bébé qui dévale des escaliers avec la puissance de cet orchestre, c’était juste incroyable. Comme un mur du son !

Comment s’est fait le choix des acteurs : pendant l’écriture du scénario avec Henry Rollins ou bien après, selon l’emploi du temps de chacun ? Pour 99% des cas, le choix s’est fait pendant l’écriture du scénario. Iggy ne pouvait qu’avoir ce rôle. Il est comme un petit garçon qui teste Dieu (rires) ! Grace Jones, Nina Hagen, Lemmy Kilmister, ce sont des artistes reconnus, des stars même, mais avant cela, ils ont bataillé pour y arriver. Ils ont connu la rue. C’est en partie pour ça que le film s’appelle « Gutterdämmerung » (gutter veut dire caniveau. Ndr) et c’est aussi le nom d’un opéra de Wagner (« Götterdämmerung » ou « Le Crépuscule des dieux » en français. Ndr).

Gutterdammerung_casting



Dans le film, la guitare a une place primordiale puisqu’elle est la raison principale de la discorde entre le Bien et le Mal. Cela a-t-il été difficile de dessiner un instrument qui ne ressemblait pas à une Fender ou à une Gibson ? Effectivement, cela fut loin d’être facile. Nous ne voulions pas qu’elle soit trop identifiable… En fait, c’est un peu un mélange de plusieurs modèles. La guitare a réellement été construite grâce à l’aide précieuse des gens de Maton Guitars, une société basée en Australie qui fait des guitares pour Josh Homme des Queens Of The Stone Age, Jesse Hughes (Eagles Of Death Metal. Ndr) et bien d’autres artistes. C’est une petite boîte, très familiale, et ce fut génial de bosser avec des personnes passionnées par ce qu’elles font.

Toi-même, joues-tu de la guitare ? Non… Mais je joue des disques (rires) ! C’est une grande frustration que de n’avoir jamais eu ça dans le sang… Mais bon, ma caméra est ma façon de faire de la musique d’une certaine manière. Et les 2, la technique pour filmer et la musique, sont très liés dans ce projet. De part sa nature et sa conception, « Gutterdämmerung » est un film monté comme une chanson, ou plutôt monté autour de plusieurs chansons. C’est Kevin Armstrong (un guitariste qui a joué avec David Bowie, Morrissey, Iggy Pop, Mick Jagger. Ndr) qui a écrit la bande-son jouée en direct pendant la projection, avec une multitude de styles différents.

Pendant la projection, les musiciens jouent avec un clic pour se repérer ? Ils débutent avec un clic, puis ils jouent d’après les images en suivant le batteur. Franchement, c’est juste incroyable. Henry Rollins n’est pas toujours disponible pour se produire en live, mais, lors d’une prestation où il était présent, il est venu me voir dans les coulisses. Il secouait la tête, habillé en robe de prêtre, une Bible dans une main… Et il m’a dit qu’il était stupéfait par la qualité des musiciens et que cette qualité était devenue très rare de nos jours. Crois-moi, venant de lui, c’est un sacré compliment car, si le groupe avait été mauvais, il ne se serait pas gêné pour me le dire (rires) ! D’ailleurs, j’encourage les gens à venir pour aussi découvrir des jeunes talents encore inconnus. Franchement, ils m’ont tous bluffé de par leur talent. Tous et toutes sont des stars en puissance.

Le but est donc de faire des tournées avec « Gutterdämmerung » comme un groupe ? Oui, nous allons essayer de faire le plus possible de concerts. Des grands groupes de cinéma nous ont sollicités. C’est tentant de se retrouver sur un écran immense, genre en IMAX, mais nous avons refusé pour rester indépendants. On ne se laisse pas acheter par des grands méchants loups (rires). Nous sommes « Gutterdämmerung » ! Ce film est fait pour le public, pour les fans de musique. Il se fera connaître par le bouche à oreille, par une certaine presse spécialisée. Il n’a jamais été conçu pour plaire à une élite.

Gutterdammerung_live



 

Tu as peur de voir ton film projeté dans une salle où les gens sont susceptibles de manger du pop corn en le regardant ? Cela peut fonctionner, va savoir… Mais c’est quand définitivement plus intéressant en live. Bon, à la limite avec un bon Jack Daniels (rires) ! Plus sérieusement, j’aimerais un jour que l’on puisse jouer le film dans des endroits bien spécifiques et magiques, comme par exemple à Joshua Tree, en plein désert… Je ne peux t’en dire plus actuellement, mais Josh Homme m’a parlé d’un endroit qui pourrait très bien convenir à ce que nous recherchons…

Au début de l’interview, tu disais que l’aspect financier avait été un des grands challenges du film à relever… C’est juste et j’ai eu une chance incroyable. Je n’avais pas un énorme budget et quand certaines personnes ont vu le résultat final, elles ont pensé que j’avais eu un financement digne d’Hollywood. Et bien non (rires) ! Le Studio St-Louis (le lieu où s’est déroulé l’interview et où les premières images ont été projetées à la presse. Ndr) m’a énormément aidé pour la post-production, les effets spéciaux, etc… Et ces gens bossaient sur le film après leur journée de travail ! De plus, les artistes présents dans le film ont travaillé pour rien. Ça les éclatait de participer à un tel projet, tout simplement.

Dans le milieu de la mode, on te surnomme « le réalisateur rock’n’roll ». Cela vient d’où ? Parce que sur mes tournages ou mes séances photo, j’aime mettre de la musique qui choque (rires) ! J’ai tourné des pubs pour Vuitton pendant lesquelles je passais du Slayer ! La première fois, autant te dire que ça a surpris les gens de la production et ils n’étaient pas très sûrs ensuite de vouloir retravailler avec moi (rires) !

Certes, tu aimes ce style de musique, mais c’est un peu de la provocation par rapport au monde de la mode, non ? Mais tout à fait ! La musique est aussi un excellent moyen d’influencer les gens, une manière de préparer les acteurs. Tu vas ainsi les mettre dans une certaine ambiance avant les prises. La musique va les transformer.

Quels sont tes 3 albums favoris de tous les temps ? Wouah, c’est une question super difficile… Je pense que mon choix est d’abord dicté par la mélancolie, par mes souvenirs de jeunesse… Alors je vais dire « No Sleep ‘Til Hammersmith » de Motörhead. Et bien sûr, « Raw Power » de The Stooges. Henry Rollins et moi, nous avons parfois longuement discuté de musique et pour lui, c’est l’album de rock le plus important qui soit sorti aux États-Unis. Et je partage cet avis. Pour finir, ce sera le premier album éponyme de Black Sabbath. Bon, j’aurais bien aimé ajouter un petit Hendrix ou un Led Zeppelin ! Il y a quand même 2 titres de ce groupe joués pendant la projection.



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Olivier Ducruix
18/1/2017
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