Si de ses deux premiers albums Not Scientists a gardé en substance son amour pour un indie-rock pêchu et mélodique, le quatuor a décidé aujourd’hui d’embrasser pleinement la new wave des années 80, sans pour autant verser dans la froideur qui caractérise si souvent cette période, bien au contraire.
Même si certains signes étaient déjà présents dans votre second album (« Golden Staples »), vous avez décidé d’aller encore plus loin avec « Staring At The Sun » quant à une relecture personnelle de la new wave des années 80. Quelles sont les raisons qui vous ont poussés à assumer totalement cette approche artistique ?
Ed (chant/guitare) : Sur « Golden Staples », nous avions essayé certaines choses qui répondaient à des envies, ce n’était pas calculé du tout. Pour ce nouveau disque, nous avons retenu les idées qui nous plaisaient, mais en cherchant à aller plus loin encore, avec la volonté de nous mettre aucune barrière et d’essayer un maximum de sons différents.
Quitte à mettre en retrait le côté indie-rock de vos première réalisations, albums et EP compris…
Ed : En retrait, je ne sais pas… Je vois ça comme une évolution constante de notre musique. Après, je peux comprendre que, quand on sort un disque tous les quatre ans, les gens entendent le produit fini et ne se rendent pas compte de tout le chemin parcouru entre deux réalisations… et de l’évolution personnelle des membres du groupe. Entre le nouvel album et le précédent, ce sont des heures de répétition, des tests de sons, des disques écoutés, c’est donc logique que notre musique évolue comme nous.
Le line-up du groupe a changé de moitié entre ces deux albums. Cela a-t-il joué sur cette évolution dont tu parles ?
Frederico (guitare) : Je peux difficilement répondre à cette question car je suis arrivé dans le groupe après le processus de composition et je n’ai pas participé à l’enregistrement. Donc, je suis aussi curieux que toi de connaître la réponse (rires) !
Ed : Et ça répond en partie à ta question ! Les changements de line-up n’ont pas vraiment influencé les nouveaux titres. Une grande partie du disque a été réalisée en amont chacun chez soi, pendant le confinement. Je me suis retrouvé seul devant mon ordinateur à composer avec cette envie d’expérimenter. C’était très récréatif car j’essayais des sons que je n’aurai jamais pensé utiliser. Cette manière de faire m’a permis de mettre en route deux ou trois trucs que j’ai ensuite poussé plus loin et, de fil en aiguille, le résultat s’éloignait de plus en plus de ce que nous avions fait auparavant.
Finalement, sans la pandémie et les confinements qui en ont découlé, tu n’aurais peut-être pas poussé le bouchon si loin…
Ed : Difficile à dire… Ça ne vient pas de nulle part non plus, l’envie d’explorer d’autres pistes était bien là, mais il est clair que certains titres sont nés de l’ennui ressenti pendant cette période. Disons que cette fois-ci, nous avons eu le temps de penser à tout cela et d’opérer ce changement de manière plus consciente. Santi, qui a produit l’album et avec qui nous nous entendons très bien, était sur la même longueur d’onde que nous et il nous a aidés à assumer totalement nos choix, et même à aller encore plus loin.
Plus loin, de quelle manière par exemple ?
Ed : En doublant des basses avec des sons de synthé, en ajoutant des séquences, en privilégiant des sons de batterie totalement différents par rapport à nos habitudes. Santi a été capable de retranscrire au mieux ce que nous avions dans la tête pour cet album.
Un nouveau bassiste, un nouveau guitariste, un nouvel album et de nouveaux sons… Cela fait pas mal de nouveautés !
Ed : Tout à fait ! Tatane (basse) a participé à l’élaboration des nouveaux titres et à leur mise en place en studio. Frederico, lui, aura le droit de jouer en concert des morceaux qu’il n’a ni composé ni enregistré (rires).
Et toi, Frederico, tu as accepté…
Frederico : Oui, d’abord parce que la tournée que j’avais faite en 2015, en remplacement de Jim (l’ancien guitariste de Not Scientists, ndlr), s’était bien passée. Ensuite, parce que l’évolution du groupe au travers des trois albums me plait beaucoup. Cela faisait longtemps que je n’étais plus dans le milieu rock indé, depuis The Pookies pour être exact, soit une bonne quinzaine d’années, et ça me manquait un petit peu… Mais je n’avais pas envie de retourner dans le côté saturé à la guitare de cette musique et la nouvelle approche de Not Scientists colle parfaitement au son que j’ai en tête en ce moment, avec des guitares plus tranchantes. Quand j’ai écouté le nouveau disque, j’ai été très surpris : la prod est vraiment cool et les morceaux sont chouettes… mais les parties guitare ne sont pas les miennes !
Ed : C’est d’ailleurs pour ça que, très vite, nous nous sommes remis à la composition avec Fred, pour faire de nouveaux morceaux avec lui.
Frederico : C’est étrange parce que ça touche aussi à ma façon de bouger sur scène. J’ai parfois l’impression d’avoir chopé le truc et d’un coup, mon corps s’arrête… parce que ce n’est pas naturel. Cela viendra avec le temps, je l’espère, et avec les titres pour lesquels j’aurais apporté ma contribution. J’aimerais bien, par exemple, qu’il y ait un synthé sur scène, quitte à lâcher la gratte pour que j’en joue.
Frederico, pourquoi avoir quitté le milieu du punk rock indé après The Pookies ? Par lassitude ?
Frederico : J’avais envie d’autre chose. Je suis parti pendant 10 ans vivre en Espagne pour faire du flamenco. Je me demande parfois ce que cette expérience m’a réellement apporté, du moins pour mon jeu de guitare électrique, parce que je passais quand même sept à huit heures par jour à bosser la technique… Un véritable enfer ! Peut-être que j’ai appris à faire respirer mon jeu, à maîtriser quelques dissonances, et aussi une certaine fluidité à la main gauche. Et selon les dires de mon prof au conservatoire, cette expérience m’a quand même servi…
Frederico, pourquoi avoir quitté le milieu du punk rock indé après The Pookies ? Par lassitude ?
Frederico : J’avais envie d’autre chose. Je suis parti pendant 10 ans vivre en Espagne pour faire du flamenco. Je me demande parfois ce que cette expérience m’a réellement apporté, du moins pour mon jeu de guitare électrique, parce que je passais quand même sept à huit heures par jour à bosser la technique… Un véritable enfer ! Peut-être que j’ai appris à faire respirer mon jeu, à maîtriser quelques dissonances, et aussi une certaine fluidité à la main gauche. Et selon les dires de mon prof au conservatoire, cette expérience m’a quand même servi…
Tu es allé au conservatoire pour parfaire ta technique de flamenco ?
Frederico : Non, pour passer mon D.M. de Musiques Actuelles, que j’ai réussi avec succès ! J’y ai appris plein de choses : que je pouvais aimer autant Marvin Gaye et la soul que Brian Setzer ou même Jacob Collier, que j’adorais la MAO jusqu’à m’y perdre dedans ! Je me suis également découvert une passion pour les synthés et ça, c’est franchement cool pour le futur de Not Scientists.
Penses-tu que cette formation t’a aidé à intégrer plus rapidement le groupe grâce à la compréhension de la musique ?
Frederico : Quelque part, oui, car j’ai des réflexes de cogite harmonique. J’essaye de penser en degré et ça m’aide à être plus efficace au niveau de l’harmonisation d’un morceau.
Et qu’en pensent les autres membres de Not Scientists ?
Ed : Un jour, je montre à Fred un plan dont j’étais plutôt fier. Et là, il me répond : « Mais c’est faux ! » (rires) Pour ma part, c’est tout l’inverse, je n’ai eu aucune formation et je ne me suis jamais exercé à la guitare plus que ce qu’il ne fallait. Bref, je suis un parfait autodidacte et tout ce que je compose est dû au feeling ou à des accidents. Parfois, ça fonctionne, d’autres fois un peu moins.
Frederico : Et les accidents, c’est important quand tu crées. Lorsque je compose, je laisse mon cerveau de côté, contrairement à ce que j’ai pu apprendre au conservatoire. Je me sers uniquement de la théorie si je veux débloquer une suite d’accord. Mais le feeling, pour écrire des morceaux, c’est ce qu’il y a de mieux.
Vu le son clair que vous mettez en avant avec le groupe, tu as dû quand même faire évoluer ton jeu de guitare…
Ed : Complètement. Et pour la première fois de ma vie, j’ai eu la sensation d’avoir progressé à la guitare grâce à Not Scientists. Avant, quand je jouais une musique plus punk basée sur la saturation, je n’étais pas obligé d’être aussi précis que maintenant.
Ed, tu as été pendant longtemps le frontman des Uncommonmenfrommars. Cela a-t-il été difficile de te débarrasser de cette étiquette et de devenir le musicien de Not Scientists que l’on connaît aujourd’hui ?
Ed : Lorsque nous avons monté Not Scientists avec Jim (l’ancien bassiste des Unco, ndlr), la première chose que nous avons fait, c’est d’acheter des nouveaux amplis et des guitares, pour changer radicalement de son. C’était pour nous un nouveau défi que d’écrire des morceaux avec un son clair. Quand tu as composé pendant une vingtaine d’années avec le même matos, tu as forcément des réflexes. Du coup, grâce à ces changements, il nous était impossible de faire la même chose. Et cela a également modifié notre jeu de guitare : avec une Telecaster et un combo Fender, si nous voulions garder l’agressivité, il fallait jouer tout en allers.
Avec ce nouvel album et cette approche résolument new wave des années 80, votre matos a dû quelque peu évoluer, non ?
Ed : J’ai toujours un combo Fender (Pro Reverb), mais depuis quelques années, je suis passé – pour la première fois de ma vie – de la Telecaster à la Stratocaster. C’est une guitare offerte pour mon anniversaire et achetée chez Yeahman’s Guitars, un magasin situé à Berne, en Suisse, spécialisé dans le vintage et le matos d’occasion. C’est une réédition d’un modèle Fender des sixties, mais faite par ESP dans les années 80 (ESP Series 400 Stratocaster, série en petite quantité fabriquée par ESP au Japon pour célébrer les 20 ans de la Strat série L, ndlr). Vu la teneur de l’album, on retrouve forcément du chorus, de la reverb et du delay, question effets, avec un overdrive pour juste booster quelques parties.
Frederico : J’ai un Vox AC30 en ampli, mais pour coller un peu plus au cahier des charges de l’album, je me suis acheté un Chorus… alors que je m’étais juré de ne jamais le faire (rires) ! J’ai aussi un Boost et un Delay. Pour le moment, je cherche encore un peu ma configuration et j’ai dans l’idée de changer de gratte pour avoir un son différent, avec une Gretsch ou une Fender Jazzmaster, à la place de ma G&L…
La cure de jouvence de Ed
« Outre Killing Joke et Joy Division, deux formations des 80’s qui squattent mes playlists depuis longtemps, j’ai toujours aimé The Cure, j’imagine comme tout le monde, surtout les premiers disques, le Best Of et les tubes. Il y a quelques années, je me suis replongé dans la discographie du groupe que j’ai à nouveau trouvé incroyable, un peu comme un deuxième effet Kiss Cool (rires). J’ai ainsi découvert, tardivement, « Disintegration » et ce fut un véritable choc, je l’ai écouté en boucle pendant des mois. Je pensais connaître The Cure, mais pas du tout. Ce disque m’a totalement fait redécouvrir The Cure. »