Une tournée à l’arrêt. Une somme de chansons dans les cartons. Un home-studio où viennent jammer les copains. Tyler Bryant a mis son confinement à profit pour enregistrer « Pressure » avec The Shakedown. Ce quatrième album est un diamant brut, toute Strat dehors, où le blues le plus dépouillé tutoie le rock le plus sauvage. Tyler nous a reçu virtuellement dans son studio pour discuter de ce disque anti-sinistrose. Propos recueillis par Benoît Fillette
En 2019, tu nous présentais « Truth And Lies ». On n’attendait pas un nouvel album si tôt, mais il y a eu le confinement... Et « Pressure » résonne comme l’album anti-crise. Tyler Bryant : Cet album est un peu à l’image de la période que nous vivons. Personne n’aurait pu prédire ce qui allait se passer. Notre tournée a été annulée, alors on s’est concentrés sur l’écriture. Notre label nous a demandé de sortir un EP... et c’est devenu un album de 13 titres, enregistré dans mon home-studio, à Nashville. On n’a pas eu l’impression de faire un album, on était juste une bande de potes jouant pour le plaisir. Et je crois que cela s’entend.
Vous avez su rebondir et faire preuve de créativité... Question musique, mes deux activités préférées sont : donner des concerts et enregistrer des chansons dans mon studio. J’écris tout le temps Mais cet album était une manière d’échapper aux mauvaises nouvelles. Bien sûr, on a été déçus. On devrait tourner en France en ce moment. Tant qu’on n’aura pas repris la route, je vais enregistrer autant de disques que possible. Après « Pressure », j’ai enregistré l’album de reprises de Larkin Poe (duo formé par son épouse Rebecca Lovell avec sa sœur Megan, ndlr) « Kindred Spirit » (Kravitz, Elvis, Post Malone, Allman Brothers, Bo Diddley... Ndr), et là je suis en train de terminer celui de Frankie Ballard, un artiste country à succès qui prépare un disque plus gospel, plus bluesy.
Et pendant le confinement, vous avez posté pas mal de vidéos avec Caleb (Crosby, batterie)... On n’habite pas loin, on jammait tout le temps et on en oubliait presque de dormir. Avant ça, on a passé un an sur la route et composé pas loin de 300 chansons, c’était dingue. Parfois on se dit que l’on passe plus de temps ensemble qu’avec nos épouses respectives. Quand on a décidé de faire ce disque, on avait une quantité impressionnante de chansons et on a continué à composer en studio, comme la chanson Hitchhicker. Je venais de m’acheter une nouvelle guitare. Il fallait que je l’essaye. Et voilà, j’avais une nouvelle chanson.
Parle-nous de ta dernière trouvaille. C’est un résonateur tricone rose fabriqué par Mule Resophonic. Le son est irréel (il se lève pour aller le chercher et gratter quelques accords. Ndr). À l’origine, j’avais envie de jouer du blues avec. Et puis en changeant d’accordage, j’ai écrit la chanson Like The Old Me. Il m’a aussi inspiré Coastin’.
Coastin’ dont le son brut tranche avec le reste de l’album, plus produit. On n’a fait qu’une prise. On travaillait sur Loner, et on était dans l’impasse. Pour bien finir la journée, j’ai proposé à Caleb de me suivre sur une idée. On était dans deux pièces différentes, il ne pouvait pas me voir. Cela explique le faux départ que l’on entend. Mais une fois lancés, la première prise était la bonne ! À la fin je le félicite : « bon boulot C.Cros’ », c’est comme ça que je l’appelle. Il m’a épaté, d’autant qu’il n’avait jamais entendu la chanson.
Sur les nouvelles photos de presse, vous n’êtes plus que trois. Où est passé votre bassiste, Noah Denney ? Noah est batteur à l’origine. Il a appris la batterie dans la même école que Caleb. Ils ont été diplômés en même temps. Il n’avait plus trop envie de passer sa vie sur la route avec The Shakedown et il souhaitait se remettre à la batterie. Il avait besoin d’avancer. Et nous aussi. On a trouvé un nouveau bassiste. Il est fan du groupe depuis 2013.
Certaines chansons comme Pressure ou Crazy Days ont l’air de faire écho à la pandémie... Pressure a été écrite avant la crise. J’avais oublié cette chanson jusqu’à ce que Caleb m’en reparle. Après l’avoir écoutée, j’ai compris qu’elle devait figurer au début de l’album avec ce cri : « I feel the pressure ! ». On ressent tous de la pression. Pour survivre. Pour réussir. Voilà de quoi parlait la chanson. Mais vu tout ce qui se passe, on vit tous une autre forme de pression. On ne voulait pas que cet album soit celui de la pandémie. Ces chansons doivent survivre à cette période que l’on traverse, quand le problème sera réglé. Le plus drôle, c’est que les chansons qui résonnent avec ces événements sont celles écrites avant tout ça !
Jusque-là, vous avez été assez discret sur votre vie privée. Cette fois, ton épouse Rebecca chante sur trois titres de l’album, comme tu avais participé à « Self Made Man » de Larkin Poe. Envisagez-vous un jour de tourner ensemble, comme Derek Trucks et Susan Tedeschi ? Nous sommes mariés depuis un an. Chacun est maître de son projet, mais on se donne des conseils évidemment. J’ai co-écrit Back Down South et elles m’ont demandé de jouer. J’ai la chance de partager ma vie avec une grande chanteuse, alors je lui ai demandé de participer. C’est vrai que cela serait chouette de tourner ensemble avec nos deux groupes. Les possibilités sont infinies. On était censé tourner l’un et l’autre cette année, mais vu la situation, on est chez nous. C’est ça le bon côté des choses pour moi. On se lève le matin, on écoute du blues, on joue des standards country. On est tous les deux fans de Guy Clark ou Townes Van Zandt.
En début d’année, tu as tourné une vidéo pour Fender avec Daniel Donato, où vous vous êtes livrés à une véritable joute guitaristique avec les nouvelles Acoustasonic, Strat et Tele. As-tu rejoué sur cette guitare, croisement d’une Strat et d’une acoustique ? Daniel et moi sommes amis depuis des années. Quand Fender nous a proposé ce tournage, on était très contents de jouer ensemble. Je jouais Out There avec une Acoustasonic sur notre dernière tournée. Avec The Shakedown, on joue fort. C’est toujours là lutte pour passer d’un instrument à l’autre et je n’ai jamais été fan du son acoustique dans une DI. Avec l’Acoustasonic, je peux me brancher dans un ampli.
D’où vient ta passion pour la Strat ? De Jeff Beck ? Je suis un mec à Strat et pour moi, Jeff Beck est le plus grand. À mes débuts, j’ai eu la chance de tourner avec lui. Il a non seulement influencé mon jeu, mais aussi le son que je recherche. C’est mon héros ! Et je veux m’approcher du son de Jeff Beck. J’aime le son du humbucker sur une Strat. Si je suis sur scène avec un guitariste qui joue sur Gibson, comme Graham (Whitford, le guitariste rythmique, fils de Brad Whitford d’Aerosmith. Ndr), avec des micros simples, il me manque la puissance pour percer. D’où les humbuckers. Je vais te montrer (il part chercher ses guitares. Ndr). Voilà ma première Strat rose (Pinky 1), équipée de micros simples 60’s, et sa petite sœur (Pinky 2), modifiée, que mes parents m’ont offerte quand on m’a volé la première. C’est ma guitare principale. Tim Shaw lui a mis un Shawbucker. C’est un luthier et fabriquant de micros légendaire. Il a notamment recréé les PAF d’origine pour Gibson (au début des années 80. Ndr) et aujourd’hui il travaille pour Fender.
Tu emmènes toujours ta Strat rose Pinky 1 en tournée ? Oui, mais j’y fais particulièrement attention. C’est celle qu’on m’a volée en tournée à l’époque du premier album « Wild Child » (2013). Elle était portée disparue pendant cinq ans et demi. C’est la guitare que je jouais sur la tournée avec Jeff Beck et avec laquelle je suis arrivé à Nashville (à 17 ans, Tyler quittait son Texas natal. Ndr). Fender me l’a offerte quand j’étais môme. Je suis allé au Custom Shop avec ma Strat de 1960 et je leur ai demandé les mêmes specs (une guitare vintage offerte par Don Nelson, le coach de l’équipe de basket Dallas Mavericks quand il avait 13 ans. Ndr). Le voleur s’est rendu chez un revendeur de voitures d’occasion et l’a échangée pour 1 000$ de rabais sur la voiture qu’il achetait. Le vendeur de voiture a pris une photo et l’a envoyée au magasin de musique du coin, à Spokane Valley, Washington. Ce sont eux qui m’ont contacté, en 2018. À l’origine, Steven Tyler m’avait fait une petite dédicace, mais elle a été effacée. Et j’avais écrit les paroles de Midnight Hour quand j’ai joué devant Steve Cropper (le guitariste de la Stax a co-écrit des tubes d’Otis Redding, Wilson Pickett, Eddie Floyd... Ndr) quand il est entré au Songwriter Hall Of Fame (en 2010). Mais cela a aussi été effacé…
Dans son studio de Nashville, Tyler Bryant nous montre comment jouer le titre Coastin'. Une masterclass aussi cool que bluesy.