Vous avez bouclé 15 dates en France, et on annonce déjà votre retour dans les Zénith en novembre 2024. Comment s’est passée la tournée ?
Terence Reis : Nous sommes vraiment très contents de cette tournée, surtout après le break imposé par le Covid. Nous sommes les premiers surpris de jouer dans des salles aussi grandes. Quand nous avons monté ce projet, nous pensions donner des concerts intimistes, mais il a fallu revoir notre copie, car il y avait de plus en plus de monde. Bien sûr, Dire Straits est un groupe populaire dont les chansons ont marqué le public. Mais Dire Straits est véritablement incarné par un homme, Mark Knopfler, et nous pensions s’adresser d’abord aux puristes pendant nos concerts.
Quand et comment as-tu découvert Dire Straits ?
À l’adolescence, comme beaucoup je pense. J’ai découvert Dire Straits à la radio, mais je ne les ai jamais vus en concert. J’ai grandi au Mozambique, qui était une colonie portugaise sur la côte Est de l’Afrique, pendant une période tumultueuse. Il n’y avait pas de télé, pas de presse musicale et j’écoutais la musique à la radio. Je n’ai jamais voulu devenir musicien, j’ai étudié la littérature et le théâtre, j’aimais la musique, le cinéma et les bandes originales. Dire Straits cochait un peu toutes les cases : un groupe qui raconte des histoires en musique, comme la bande-son d’un film. Côté guitare, j’ai été nourri par les musiciens de rue en Afrique. C’était magique. Rapidement, j’ai commencé à composer des chansons. Je trouvais ça amusant d’écrire des histoires et de les mettre en musique. Dire Straits sortait vraiment du lot à l’époque, même si cela me paraissait inatteignable.
Si la musique a toujours été un hobby, tu te destinais plutôt à une carrière de comédien...
Oui, mais curieusement, j’ai eu mes premières rentrées d’argent en tant que musicien quand j’étais étudiant ! Et je n’aurais jamais imaginé en vivre. Il y a eu une guerre civile au Mozambique, j’y suis resté quelques années de plus, avant d’aller au Malawi, puis en Afrique du Sud où j’ai commencé mes études jusqu’à ce qu’un ami me propose de venir à Londres. Là-bas, j’ai rencontré des musiciens, monté des groupes, en 2004-2005. Cinq ans plus tard, en novembre 2010, j’ai reçu un coup de fil d’Alan Clark (claviers de Dire Straits, 1980-1995)qui me proposait de jouer du Dire Straits et participer à un concert de charité (22 mai 2011, pour The Lord’s Taverners).
C’est suite à ce concert qu’ils ont monté le groupe The Straits...
J’ai cru que c’était une blague. Il m’a dit que Mark n’était pas disponible, vu qu’il tournait en solo,et ils recherchaient un frontman pour le groupe. Nous avons commencé à jouer ensemble et un jour il m’a annoncé que nous allions nous produire au Royal Albert Hall, parce que Clapton avait une soirée off. La Terre s’est arrêtée de tourner. À l’origine, je devais juste chanter, il n’était pas prévu que je joue. Il y avait déjà Phil Palmer à la guitare (1990-1992). Et puis Alan m’a proposé de jouer. Je lui ai demandé sur quelles versions je devais travailler, car en plus des albums, j’avais écouté tellement d’enregistrements live et de bootlegs. Il m’a répondu : « On n’écoute pas les albums, on se retrouve et on joue ». Moi j’avais besoin d’apprendre à jouer ces morceaux. Je leur ai envoyé des démos de Wild West End, Communiqué et Romeo & Juliet, et voilà comment j’ai fait mon premier concert avec eux. J’ai travaillé d’autres morceaux à partir des versions live que je trouvais sur YouTube, et j’ai fait mes petits arrangements. J’entendais un feeling à la Chuck Berry chez Dire Straits. J’ai vraiment bossé, mais en me disant que cela n’irait pas plus loin qu’une soirée. Le concert s’est tellement bien passé : de là est venue l’idée d’en faire d’autres. Je n’aurais jamais imaginé que je ferais le tour du monde en jouant cette musique !
Au bout de trois ans, ce projet est devenu The Dire Straits Experience...
Quand The Straits s’est arrêté, chacun est parti de son côté. J’étais devenu très copain avec Chris White (saxophone, 1985-1992) qui m’a parlé de son nouveau projet baptisé The Dire Straits Experience. Il m’a proposé de participer à une tournée de huit dates en Australie. Cela impliquait des répétitions à Londres avec de nouveaux musiciens. Je n’étais pas sûr de vouloir rempiler, d’autant que The Straits était différent avec tous ces noms... Je me demandais s’il y aurait le même attrait. Mais là encore, tout s’est bien passé et le téléphone a commencé à sonner. Nous avons dû inventer une manière de tourner avec tout ce matos, toutes ces guitares en montant une bonne équipe au fil des années.
Combien de guitares as-tu emmené sur la dernière tournée ?
Je tourne avec huit guitares, dont trois acoustiques. Une vieille Gibson Chet Atkins nylon, une Ovation Adamas des années 80 et une National bien sûr. Au milieu du concert, nous jouons à quatre et j’ai une Strat Integrity que j’ai assemblée avec des pièces détachées Musikraft, aidé par des luthiers. J’ai deux Strats, la Candy Apple Red et la Sunburst, et une Tele Integrity. Elles reprennent les specs des Schecter de Mark. Elles sont très différentes des Fender. Le luthier Ivan Leschner (installé en Argentine) m’a fait un clone de la Pensa Suhr MK-1. Et selon les tournées, je prends ma Gibson Les Paul R8 VOS’58. Sinon, j’ai toujours ma Steinberger GLT2T de 1984-1985. C’est ma guitare d’échauffement, à l’hôtel ou dans les loges, et je la joue sur Money For Nothing quand je n’ai pas ma Les Paul.
Ce projet The Dire Straits Experience a-t-il modifié ton style et ta façon de jouer ? Étais-tu un adepte du fingerpicking ou du médiator ?
Comme je le disais, les premiers guitaristes que j’ai pu observer enfant, étaient les musiciens de rue en Afrique qui jouaient aux doigts. Comme tout le monde, j’ai joué au médiator. Mais avec le temps, j’ai développé mon jeu aux doigts, d’autant que j’étais attiré par la folk, la musique celtique, l’americana, la country... J’aime beaucoup Keb Mo’ aussi. Mais quand je jouais dans des groupes les gars me disaient : « oh, tu ne peux pas jouer du rock’n’roll aux doigts ! » Mais le monde avait changé, avec des gens comme Jeff Beck ou Lindsey Buckingham (Fleetwood Mac) qui a eu une grande influence sur moi. Pour en revenir à Dire Straits, le jeu aux doigts est selon moi moins important que d’apprendre ce vocabulaire musical. Ce que j’entends dans la guitare, c’est un peu la main droite au piano, des arpèges plus étendus je dirais. C’est une vision simplifiée, mais c’est l’idée que je m’en fais. Quand je me suis lancé, Alan m’a dit : « n’apprend pas à jouer ce répertoire par cœur, n’essaie pas de copier les albums, joue à ta sauce ». Ça m’a surpris bien sûr, d’autant que les magazines de guitares regorgent de conseils pour jouer comme les grands noms de la guitare. Je voulais surtout découvrir le ressenti, retrouver les émotions, les textures... Alan a été bienveillant, comme Chris. Ils ont joué dans Dire Straits à l’époque, et avec eux j’ai aussi beaucoup appris sur le son, le réglage des amplis... Je me souviens d’une répète où ils ont joué Brothers In Arms et les murs ont tremblé avec l’orgue Hammond B3. Le volume était si fort, c’était extraordinaire ! Mais ce groupe était habitué à des salles immenses.
The Dire Straits Experience reviendra en novembre 2024 pour une nouvelle série de dates dans les Zénith de France. Comment a évolué le show avec les années ?
Il faut apprendre à occuper l’espace. Personnellement, je ne sais pas s’il y a une meilleure salle que l’Olympia dans le monde. On ressent l’intensité et le son est parfaitement restitué. Quand nous jouons devant 3 500 personnes, il faut fournir davantage d’énergie sur scène. Nous avons une super équipe avec nous qui gère bien le son, mais c’est vrai que la taille de la salle impacte notre façon de jouer. Après, il faut surtout s’adapter au public. Il y a des gens qui viennent écouter, d’autres qui veulent se défouler... Nous avons la chance de rencontrer le public, les gens nous racontent leurs histoires avec le groupe, ce que Dire Straits représente pour eux... En concert aussi, c’est bien de garder une certaine proximité avec le public. C’est une célébration. Nous sommes invités à jouer chez eux, dans leur pays. Après, il y en a qui pensent avoir besoin d’un écran dans les mains... Ça change aussi la dynamique d’un concert.
Parmi tous les classiques que vous reprenez chaque soir, quel est le morceau que tu as le plus plaisir à jouer ?
Il y a des titres incontournables et nous faisons évoluer la set-list au gré de nos envies. J’aime beaucoup Wild West End (1978), même si nous ne l’avons pas beaucoup jouée. Elle a une résonance en moi. Elle parle d’un été à Londres. Je connais bien ce quartier et quand je la chante, j’ai toutes ces images et ces odeurs qui me reviennent. Il y a un truc personnel. Les deux premiers albums de Dire Straits sont formidables, tellement bien écrits. Et ils étaient hors du temps par rapport à ce qui se faisait à l’époque. Et quel son sur Tunnel Of Love (1980) ! Quand j’ai commencé à jouer, Fender était en plein marasme et je ne pouvais pas me payer des guitares de marque. Un magasin m’a proposé de fabriquer une guitare en kit, à partir de pièces détachées Schecter. Après, j’ai appris que Mark Knopfler utilisait une Schecter sur « Making Movies ». Cet album compte beaucoup pour moi, c’était un peu le film de ma vie. Je continue d’ailleurs à acheter des pièces détachées et à assembler des guitares !
Tribute bands
C’est le lot de tous les groupes qui ont marqué leur époque : leurs « enfants » montent des tribute bands. Ceux de Dire Straits sont légion en France (Fire Straits, sTraits), en Grande-Bretagne (Money For Nothing, DS:UK), en Belgique (Calling Mark), en Espagne (Brothers In Band), en Allemagne (Dire Strats)... Parmi eux, il y a des légataires qui ont fait partie l’histoire, comme Chris White avec The Dire Straits Experience ou John Illsley, le bassiste et co-fondateur du groupe, sur sa tournée « The Life And Times of Dire Straits: music & memories ». Il a d’ailleurs publié ses mémoires. En2019, il s’était produit au festival Guitare en Scène, la veille du grand final donné par Mark Knopfler qui faisait ses adieux à la scène.