Avec un mélange judicieusement dosé de black-metal, de blues, de gospel et, depuis peu, de quelques arrangements empruntés à l’electro, Zeal & Ardor est un véritable OVNI dans l’univers des musiques extrêmes. Et le dernier album, « Greif », une nouvelle preuve de cette singularité totalement maîtrisée.
Ce nouvel album est différent des autres, ne serait-ce qu’en termes de conception. Manuel, pour la première fois, tu as décidé de partager le processus de création avec les autres musiciens du groupe…
Manuel Gagneux (chant/guitare) : Nos concerts sont toujours très intenses et je voulais que les musiciens, qui m’accompagnent depuis de nombreuses années, soient plus impliqués dans l’élaboration d’un disque. C’était pour moi une suite logique dans l’évolution de Zeal & Ardor…
Tiziano Volante (guitare) : Nous avons effectivement été amenés individuellement à plus travailler qu’auparavant les détails sur chaque titre, aussi bien au niveau de l’intensité du jeu que dans la recherche de sons bien précis.
Manuel, le projet était-il devenu trop lourd à supporter pour un seul homme ?
MG : Il l’est toujours autant. Simplement, je suis plus honnête avec moi-même maintenant (rires) ! Mieux vaut tard que jamais… Disons que j’ai senti que c’était le bon moment pour déléguer un peu plus.
TV : Ce projet est celui de Manuel depuis le début. Au fil du temps, chaque musicien a su trouver sa place en apprenant à le connaître, à mieux l’appréhender album après album. Et le dernier est finalement le reflet de notre évolution au sein du groupe. Manuel s’occupe toujours de composer les morceaux, mais je pense que tu peux y entendre un peu plus les saveurs que chacun d’entre nous a pu apporter. Disons que nous avons eu plus de place pour nous exprimer et apporter nos idées…
Est-ce dû à une manière de travailler différente ?
MG : J’envoie toujours en amont des démos aux autres membres du groupe, j’ai toujours fonctionné ainsi.
TV : Manuel n’aime pas trop passer du temps pendant cette phase, même si la trame de chaque titre était bien définie. Par exemple, certains riffs étaient assez répétitifs et nous les avons arrangés pour qu’ils puissent coller au mieux à ce que Manuel voulait.
Le nouvel album a été enregistré dans le studio d’un des chanteurs. Était-ce un choix pour avoir un maximum de contrôle sur l’artistique ?
MG : Pour être honnête, c’était un choix aussi bien financier qu’artistique. Nous avions travaillé avec un producteur et tout s’est bien passé, mais son rôle était de nous demander si nous étions sûrs de nos choix. Nous nous posons les mêmes questions en studio, donc à quoi bon passer par une personne extérieure au groupe ? Nous sommes très critiques sur notre travail individuel, mais également entre nous, et nous préférons que tout ça reste dans la famille. Tous les aspects de cet album traduisent ce que nous sommes… et c’est quelque chose de très excitant !
TV : Nous avions déjà travaillé dans le studio de Marc, mais pour le nouvel album, nous y avons tout fait. C’était une vraie liberté d’opérer ainsi, de pouvoir échanger en direct sur des points ou des arrangements bien précis.
Pensez-vous qu’avec « Greif » le groupe entre dans une nouvelle ère artistique de sa carrière ?
MG : Je ne sais pas si j’irais jusque-là… Ce qui est sûr, c’est que nous avons essayé de nouvelles choses. L’ensemble est plus honnête par rapport à ce que nous sommes devenus aujourd’hui. Bien sûr, le versant heavy dans notre musique est toujours présent, mais cet album a un côté rafraîchissant, avec de nouvelles saveurs. En tant que musicien, il est important de se renouveler, c’est comme si tu découvrais de nouveaux jouets pour t’amuser. Il n’y a aucun calcul de ma part quant à cette évolution. Lorsque je compose, je ne me dis jamais : « allez, je vais faire un truc plus extrême ou plus nuancé ». Cela se fait naturellement, selon l’humeur du moment. Finalement, nous sommes juste des humains tout ce qu’il y a de plus normaux (rires).
Le titre de l’album, « Greif », est quelque peu énigmatique, tout comme sa pochette…
MG : Le griffon est un personnage légendaire de notre ville d’origine, Bâle.
TV : C’est grosso modo la rencontre entre un aigle et un lion…
MG : La ville de Bâle est séparée par une rivière : d’un côté il y a la classe ouvrière et de l’autre une plus bourgeoise. Une fois par an, et ce depuis plusieurs centaines d’années (la tradition remonte au XIVe siècle, ndlr), le Griffon quitte le versant ouvrier de la ville pour rejoindre l’autre rive où la bourgeoisie vit et lui montrer son séant. On retrouve donc certains aspects de cette tradition dans le visuel de l’album.
TV : On pourrait y voir une métaphore entre le lion qui représente l’Afrique et l’aigle, symbole des États-Unis… Mais c’est assez éloigné de l’idée que nous avions au départ, je préfère que les gens aient leur propre interprétation.
MG : Tu as un petit côté aigle quand tu joues de la guitare (rires) !
Sur le nouvel album, seulement deux titres dépassent les quatre minutes. Était-ce un choix conscient de votre part d’aller vers des formats courts ?
MG : Non, c’est juste que je suis quelqu’un d’impatient ! Si tout est dit en trois minutes, pourquoi s’étendre plus ? Cela ne sert à rien… Passons au morceau suivant (rires) !
TV : Les gens n’ont pas le temps de s’ennuyer et ont envie de réécouter l’album, une fois qu’il est fini, pour se concentrer sur les détails lors de la prochaine écoute. Pour nous aussi, c’est moins lassant. Nous passons des heures en studio à réécouter les morceaux, à les peaufiner en cherchant comment les rendre meilleurs. Imagine si tous les titres faisaient plus de 8 minutes, nous en aurions vite marre !
Albums de chevet
Manuel Gagneux :
« Si je devais emmener un seul album sur une île déserte, ce serait “Dummy” de Portishead, un disque assez long… comme quoi je peux aimer certaines longueurs (rires) ! Je l’écoute régulièrement depuis que j’ai douze ans avec toujours autant de plaisir. »
Tiziano Volante :
« Je prendrais “Limbo Messiah” de Beatsteaks, un groupe allemand qui a eu énormément de succès dans son pays d’origine et joué dans de gros festivals dans les années 2000. C’est pour moi une formation qui représente ce que le rock devrait toujours être : de bons morceaux, des mélodies accrocheuses, ça chante bien et c’est très généreux, encore plus en concert. »