Comme à son habitude, le festival a mélangé les genres durant 3 jours : de la pop, du rock, du rap et de l'électronique. Et si cette quinzième édition manquait de quelques gros noms fédérateurs et d'un peu de folie, elle a quand même su proposer de jolis moments et autres bonnes surprises. Olivier Ducruix - Photos : © Olivier Ducruix
Vendredi 25 août Premier jour et premières inquiétudes du côté de la météo. Heureusement, les orages matinaux ont vite déclaré forfait, comme s'ils ne se sentaient pas de taille à lutter face au bouillonnant Frank Carter. Débordant d'énergie, le chanteur britannique, toujours aussi bien épaulé par ses fidèles et fougueux Rattlesnakes, a une nouvelle fois mis tout le monde d'accord avec son rock débridé et son envie communicative de mettre le public dans la poche (vous avez déjà vu un gars faire le poirier dans une foule compacte ?). Sans nul doute l'un des meilleurs concerts du festival. Difficile de passer après ce véritable ouragan sonore et visuel. Même si l’âge d’or de Manchester semble aujourd’hui bien loin, la ville britannique abrite encore de jolies pépites, comme Cabbage, sympathique mélange de new wave à la Joy Division et de passages un brin dansant à la Happy Mondays. Pas complètement renversant, mais terriblement chou (les anglophiles comprendront). Décidément, le rock avait élu domicile sur la Grande Scène. The Pretty Reckless, emmené par la sulfureuse chanteuse Taylor Momsen, actrice dans la série « Gossip Girl », aussi blonde que peu bavarde, se l’est joué à l’américaine : carré et puissant. On aurait bien voulu ajouter amazing, mais non, pas cette fois-ci. La récompense honorifique de « meilleure surprise de la journée » fut accordée à Gunwood, un trio français prometteur à la croisée de la folk, du rock et du blues, qui se produisait sur la scène des découvertes franciliennes. On peut comprendre le concept de jouer sous un chapiteau plus ou moins aménagé (heureusement, le son était bon) avec une température avoisinant les 40°. Par contre, ces 4 spots qui se baladent au fond de la salle et qui clignotent généreusement comme lors d’une fête de campagne dans une salle municipale, il faudra nous expliquer. À revoir, du moins pour l’éclairage et pour un temps de jeu un poil plus long, tout comme le nouveau coin baptisé Summer Camp. Dommage car, si l’idée sur le papier était alléchante (conférences autour du rock, blind-tests, espace dédié à des luthiers), le résultat frisait presque le ridicule. Vus dans la série « Vinyl » (une première et unique saison diffusée sur HBO), les Américains de Beach Fossils ont enchanté les amateurs de pop atmosphérique à grand renfort de clins d’œil new wave appuyés. Mais pas le temps de rêvasser. Direction la Grande Scène pour aller voir le grand retour d’At The Drive-In dans un festival français, après le passage réussi du groupe au Trianon fin mars 2016. Le quintette a retourné les neurones d’un bon nombre de spectateurs avec une prestation totalement débridée, électrique et rock’n’roll à souhait, à la limite de la cassure. Comme un ouragan, aurait pu dire une certaine princesse… Autre retour attendu, celui des Écossais The Jesus And Mary Chain, sacrément plus calme que celui de la bande à Omar Rodriguez. Une véritable plongée dans la fin des années 80 (et début des 90’s), un jeu de scène qui pourrait faire passer les musiciens pour des plots de chantier, et un concert au final sournoisement addictif. Dans la foulée, le pays du haggis, des Highlands et du whisky tourbé était une nouvelle fois à l’honneur. Franz Ferdinand, sur la Grande Scène du domaine national de Saint-Cloud, on commence à en avoir l’habitude. Pas de surprises notoires, à part la couleur grise des cheveux d’Alex Kapranos, le frontman, mais un set généreux et vitaminé. Des vitamines, les membres d’Allah-Las auraient sans doute dû en prendre, et par paquets. Ou comment s’ennuyer fermement alors qu’à cette heure-ci, vers 22 heures, cela devrait être la fête totale. Les Black Lips, eux, ont fait la fête, mais sans doute bien avant, dans les loges. Le vin rouge de l’Hexagone aurait-il eu raison de la sobriété des Américains ? Allez savoir… Une prestation chaotique, voire même bordélique, amusante au début, et usante sur la longueur. James Mercer, leader incontesté de The Shins, est un homme nettement plus calme. Sans doute trop pour un festival, malgré de belles chansons que l’on préférera écouter assis tranquillement dans son salon.
Samedi 26 août Début coloré et sous un soleil de plomb sur la Grande Scène pour cette seconde étape de Rock En Seine avec Ibibio Sound Machine, un big band africain déjà repéré par les radars de GP lors du festival Art Rock, à Saint-Brieuc. De la vraie et sincère world music, gorgée de grooves imparables, hélas jouée devant un public plus que clairsemé. Direction la Cascade (qui n’est pas un lieu-dit ou une attraction, mais le nom d’une des nombreuses scènes du festival) pour aller voir DBFC, un duo franco-anglais assurément fan de Primal Scream, The Stone Roses et autres Kasabian. De l’électro, du rock, de la pop, le mélange est certes connu, mais fonctionne à merveille. Band Of Horses ou Lysistrata ? Le choix s’est porté sur le dernier groupe nommé, un trio originaire de Saintes, fan de Refused, d’At The Drive-In et de Battles. Et là, on a eu envie de chanter la Marseillaise ou de crier vive la République pendant le passage de ces 3 fougueux garnements. Une belle et grosse claque. Lors de cette quinzième édition de Rock En Seine, les formations françaises ont prouvé qu’elles n’avaient rien à envier à celles venues de l’étranger. Après un tel ouragan sonore, la prestation des Belges de Girls In Hawaii a paru bien mollassonne, pour ne pas dire totalement fade, et les morceaux issus de leur dernier album en date, « Nocturne », n’ont pas passé l’épreuve de la scène. Ce qui ne fut pas le cas de Jain. La pop électro de la Toulousaine a largement séduit un public tout simplement désireux de faire la fête. Sur la scène du Bosquet, l’ambiance était sacrément plus lourde, pesante. Her avait décidé de se produire à RES, malgré le décès tragique et soudain de l’un de ses 2 chanteurs. Un moment fort pour une prestation pleine d’intensité. La soul hypnotique du groupe français a fait mouche, et pas seulement pour la raison évoquée précédemment. En concert, Alison Mosshart et Jamie Hince, les 2 géniteurs de The Kills, dégagent une incroyable sensualité sauvage et leur garage rock classieux a une nouvelle fois enchanté les festivaliers, même si la musique du duo n’est pas forcément taillée pour ce genre de grand événement populaire. Dommage que la prestation de la paire américaine ait été programmée au même moment que celle de The Jacques. On aurait bien aimé voir sur scène la réincarnation de The Libertines, mais la scène Firestone ne favorise définitivement pas la possibilité de voir de nouveaux talents… Après petite dose bienvenue de soul vintage avec Lee Fields & The Expressions en passant du côté de la scène de la Cascade, il est temps d’aller voir la tête d’affiche de cette seconde journée. PJ Harvey, toute de noire vêtue telle une princesse des ténèbres, a offert certes un magnifique un concert, du moins dans la forme, mais sans une once d’âme. Grosse déception au final qui nous a donné envie d’aller voir la fin du set de Frustration et fait regretter de ne pas avoir vu son début. Entre réminiscences new wave et post-punk, le groupe français a plongé les festivaliers dans un jubilatoire voyage dans le temps. Et pour finir en beauté, une belle leçon de rap à la sauce blanche donnée par Sleaford Mods. Le duo anglais, minimaliste à souhait (un chanteur et son acolyte qui se contente de boire des bières et d’appuyer sur la touche Enter de son ordinateur portable), va droit au but. Un mélange de hip-hop à l’ancienne, d’électro et même de punk, qui n’a pas laissé insensibles les derniers festivaliers présents. Comme une fièvre du samedi soir dans les Midlands.
Dimanche 27 août Rien de mieux pour commencer ce troisième et dernier jour qu'un bon vieux mélange de soul et de rock'n'roll venu d'une autre époque. Imaginez une version bollywoodienne d'Elvis Presley, période Hawaii, et vous aurez une petite idée du genre de personnage qu'est le frontman de King Khan & The Shrines. Accompagné comme toujours par ses fidèles musiciens, le chanteur indien a offert aux festivaliers une généreuse dose de bonne humeur. On attendait beaucoup de Car Seat Headrest et de son rock lo-fi. L’excellent titre Vincent nous avait même mis l’eau à la bouche. Mais n’est pas Pavement qui veut. Pétard mouillé et copie à revoir pour les planches. De la bonne humeur, Deluxe en a plein les poches et ne se gêne pas pour la distribuer. C’est fun, ça joue vraiment bien, mais on a parfois l’impression d’assister à une quelconque fête de la musique sur un podium municipal. Tout aussi généreux que le roi Khan, mais dans un tout autre registre, Ty Segall a fait parler la poudre et agité comme il se doit sa tignasse blonde à grand coup de riffs de guitare débordant de Fuzz. Ou comment voyager gratos en première classe. Souriant, déconneur, presque je-m’en-foutiste, une casquette de baseball sans âge vissée sur la tête, Mac DeMarco n’a vraiment pas la tête de l’emploi. Son soft rock de bonne facture, mais poussif sur la longueur, a pourtant récolté des applaudissements nourris. Prix de la camaraderie du festival, pas plus. De drôles de senteurs d’herbe (a priori pas celle que l’on peut trouver dans les vertes prairies normandes) semblent annoncer l’arrivée sur scène de Cypress Hill. Durant une bonne heure, le quatuor californien, emmené par un B-Real et un Sean Dog au meilleur de leur forme, a régalé le public parisien. Bonne humeur, échange de tous les instants entre le groupe et les festivaliers, setlist aux allures de best-of. Du bon rap comme on l’aime, encore plus dans un festival, festif et terriblement addictif. Timing serré oblige, on ne verra que la fin du set de The Lemon Twigs. Avec sa pop audacieuse et une prestation foutraque, mais maîtrisée, le groupe originaire de Long Island a de sérieux atouts pour devenir une valeur sûre du genre. Début mai 2017, Slowdive, figure emblématique du shoegaze aux côtés de My Bloody Valentine, Swervedriver et Ride, sortait un album éponyme, le premier depuis 22 ans. Autant dire que la venue des Anglais était plus qu’attendue. Et les fans, mais également le curieux, n’ont pas été déçus. Un soupçon de new wave (le bassiste est sans nul doute un grand fan de Simon Gallup de The Cure), un brin de dream pop, et beaucoup de shoegaze (Fuzz, Reverbe/Delay, le trio magique de pédales pour jouer ce style), Slowdive a comme enveloppé la scène du Bosquet de nappes de guitares et autres ambiances éthérées. Un set calme et puissant à la fois, une véritable invitation à la rêverie. Le festival s’est achevé avec la prestation très visuelle de The XX. Son aussi impeccable que les jeux de lumières, belle chemise blanche à fleur pour le bassiste, mélodies douces aux forts accents pop, voilà un concert qui a récolté les faveurs du public. Sympathique et (trop ?) propre sur soi.
Doit-on faire la fine bouche quant au cru 2017 de Rock En Seine ? Globalement, et même s’il y a eu des bons (DBFC, Cypress Hill, Slowdive, Frustration…), voire d’excellents moments (Frank Carter & The Rattlesnakes, Lysistrata, Sleaford Mods, Ty Segall, The Kills)… la réponse est oui. Pour une quinzième édition, on pouvait attendre mieux. Après une paire d’années affichant complet (120 000 tickets vendus), c’est la seconde fois de suite que l’événement parisien atteint les 110 000. Du coup, quelques concerts ont semblé bien vides, surtout en début de journée. Une baisse de la fréquentation qui peut s’expliquer cette fois-ci par un manque de têtes d’affiche dignes de ce nom. Il faudra sans doute aussi revoir quelques points pour l’année prochaine : une meilleure organisation des scènes découvertes (Firestone et Île de France), une optimisation des nouvelles idées (le Summer Camp) et un questionnement judicieux sur cette nouvelle terrasse VIP située à droite de la Grande Scène et qui gâche la vue d’une partie de celle-ci. Il faudra surtout redonner un peu d’âme à ce festival qui reste une belle occasion de découvrir les artistes et les groupes de demain. Cette quinzième édition, sans qu’elle soit non plus mauvaise, n’a pas brillé question ambiance avec au final peu de festivaliers déguisés durant ces 3 jours. Oui, cette édition manquait quelque peu de folie… Dommage car Rock En Seine, souvent considéré comme la rentrée des classes, reste un joli moment de convivialité et d’échanges.