Elles ont infléchi le cours du son, façonné les morceaux que nous aimons, transformé nos manières de faire de la musique… Produit par Reverb.com, le documentaire The Pedal Movie nous plonge dans l’histoire passionnante des pédales d’effets et leur rôle unique dans l’évolution de la guitare électrique. Par Flavien Giraud
Il s’est fait attendre, mais ça y est : The Pedal Movie est enfin disponible en vidéo à la demande sur iTunes, Google Play et Vudu. Un film inédit basé sur une centaine d’interviews d’artistes et de fabricants, 2h22 d’immersion dans un monde de pédales d’effets ! Historique et geek à la fois, le documentaire de Dan Orkin et Michael Lux explore cet univers si particulier, marché de niche devenu extraordinairement dynamique ces dernières années. Ce dernier explique : « Les pédales d’effets ont façonné le son de nos chansons préférées et donné naissance en cours de route à toute une industrie, dont la plupart sont de petites entreprises travaillant aux côtés de leurs héros musicaux. Malgré l’influence immense de ces petites boîtes, leur histoire, la manière dont elles ont été créées, et comment elles ont évolué en parallèle de la musique qu’elles ont contribué à modeler, sont restées largement ignorées. » Et son comparse d’ajouter : « Aujourd’hui, il y a un bouillonnement : des milliers de fabricants qui produisent des centaines de milliers de pédales chaque année pour une communauté de musiciens qui continue de grandir et de chercher de nouveaux modes d’expression. Il y a une infinité de possibilités grâce aux pédales qui existent aujourd’hui et celles qui restent encore à concevoir. Ça n’a jamais été aussi excitant de créer de la musique.
Steve Albini
Des pédales qui ne sont pas seulement des « outils », « mais des sources d’inspiration pour d’innombrables musiciens… » Interviewé, Steve Albini fait d’ailleurs remarquer : « C’est rare aujourd’hui qu’un musicien n’ait pas tout un lot de pédales devant lui… Et il arrive que des chansons soient écrites autour d’un effet en particulier, qui permet de faire tel son, qui devient la pièce maîtresse de telle partie du morceau. Donc sans la pédale, impossible de le jouer. » Un point de vu partagé par David Knudson (Minus The Bear) : « Prenez quelqu’un comme The Edge. Si vous écoutez une chanson de U2, et que vous enlevez les effets, il reste quelques notes, et ce n’est sans doute même pas un très bon riff. Remettez les effets, et subitement vous remplissez des stades avec un mur de son. Les effets ajoutent de la dynamique, de l’intensité, et parfois ce sont eux qui font la chanson. »
Snoddy, Hurst, Mayer, Plunkett, Matthews… Car d’emblée, le film pointe l’absolue nécessité pour bien des musiciens de sortir des sentiers battus, de détourner, contourner, explorer, dépasser les possibilités de l’instrument. D’ailleurs, l’effet n’a pas attendu la pédale : si très tôt l’arsenal électronique des studios va permettre de compresser, limiter, réverbérer, ou dédoubler, le simple fait d’utiliser les potards de volume pour obtenir un trémolo, ou de tonalité pour un effet de filtre, ou encore de pousser un ampli à fond, participait déjà de cette conquête instrumentale.
On voyage à travers le siècle, depuis la première « unité d’effet » (le Tremolo DeArmond, 1941), suivie par une poignée de pédales qui ont allumé la mèche au cœur des 60’s : la Maestro Fuzz-Tone conçue par Revis Hobbs et Glenn Snoddy (1962), la Tone Bender de chez Solasound/Macari (1965) et la Fuzz Face d’Arbiter (1966), la Wah Vox mise au point par Brad Plunkett (1967) et l’Uni-Vibe (1967), l’Octavia de Roger Mayer (1967) et la Big Muff de Mike Matthews et Bob Myer… Leur naissance, mais aussi la manière dont ces pédales ont jalonné les enregistrements historiques des Rolling Stones, Led Zeppelin, Hendrix et consorts, faisant basculer la guitare électrique dans la modernité et dans une nouvelle ère sonore, d’ambiances évocatrices, de solos endiablés…
Par la suite, la machine semble inarrêtable, avec l’explosion des années 70 : Musitronics, MXR, Electro-Harmonix, Boss, Ibanez établissent les standards qu’on utilise encore aujourd’hui. Les années 80, ère du digital et de tous les excès, époque du rack et de la surenchère (au détriment de l’immédiateté et de l’ergonomie d’une pédale), donneront naissance, en réaction, à la fois à une nouvelle génération de musiciens (grunge, rock alternatif) qui se réapproprieront les pédales, et aux fabricants boutique des années 90 (Fulltone, Way Huge, Prescription Electronics, Lovetone, Zvex). Sans oublier le culte du DIY et Internet qui a ouvert tout un partage de savoir… Andy Martin (le testeur le plus célèbre de YouTube) l’analyse ainsi : « Les gens ont cessé d’utiliser ces racks hors de prix, et ça a concordé avec ce qui se passait sur le plan musical. Le hair-metal et tous ces trucs ont été balayés par le grunge et les musiques alternatives. Et je crois que ça a joué un rôle important dans la résurgence des pédales. On voyait Sonic Youth et Nirvana jouer à nouveau avec ces pédales trouvées d’occasion. » Nous amenant ainsi au grand boom des années 2000, avec la fièvre des pédales analogiques, mais aussi l’avènement du DSP (Digital Signal Processing) et d’une technologie numérique arrivée à maturité, repoussant toujours les limites, et désormais miniaturisable dans des boîtiers qui se sont multipliés comme des petits pains sur nos pedalboards en constante expansion !
Sortis du garage Défile en interview tout le gratin des effets d’hier (Mike Matthews d’EHX, Mike Beigel de Musitronics, Andrew Barta de Tech21, Craig Anderton, l’auteur du fameux Electric Projects For Musicians) et d’aujourd’hui : Mike Piera d’AnalogMan, Zachary Vex, Jeorge Tripps de Way Huge, Fran Blanche de Frantone, Brian Wampler, Robert Keeley, Adrian Thorpe de Thorpy FX, Josh Scott (JHS), Joel Korte de Chase Bliss Audio, Oliver Ackermann (Death By Audio), Dave Fruehling de Strymon, Jamie Stillman (EarthQuaker Devices), etc... Tous incarnent à leur manière leur marque, leur philosophie, leur approche du son. Et sont autant d’exemples de success-stories, passant en quelques années de leur garage au statut d’incontournables.
Mais il y a aussi des documents précieux comme cette interview de Glenn Snoddy (1922-2018) se remémorant l’« accident de studio » qui donnera naissance à la première Fuzz, ou de Gary Hurst qui, à Londres, transforma l’essai avec la Tone Bender pour les futurs héros du British Blues Boom. Des pionniers bidouilleurs qui ont contribué à transformer drastiquement la face de la musique électrique. On retrouve également les témoignages passionnés de producteurs (Steve Albini, Eddie Kramer…) et d’artistes de premier ordre comme Steve Vai, Billy Corgan, Paul Gilbert, Joe Bonamassa, Marcus Miller, Peter Frampton, Nels Cline (Wilco), Kevin Shields (My Bloody Valentine), Graham Coxon (Blur), J. Mascis, Doyle Bramhall II, Sarah Lipstate… Et comme le dit Dweezil Zappa à la fin du documentaire, avec les possibilités infinies offertes par ces pédales d’effets, « soit vous devenez dingue, soit vous vous dites que ça n’a jamais été aussi excitant d’être guitariste. »
Steve Vai