Rebecca et Megan Lovell ont le son dans les doigts et l’harmonie dans le sang. Et ça s’entend dans leur nouvel album « Blood Harmony », plus blues, plus rock et live que jamais.
Le point de départ de « Blood Harmony » est le livre de Ruth Ozeki, A Tale For The Time Being (En même temps, toute la Terre et tout le ciel, en français)...
Rebecca (chant/guitare) : Oui,nous l’avons lu toutes les trois, notre mère, Megan et moi, et nous avons discuté au téléphone de la façon dont il nous avait touchées. Nous vivons dans le présent, en même temps que nous anticipons l’avenir et que nous regardons en arrière. C’est la même chose en musique. Une chanson est un réceptacle d’émotions. Cette discussion autour du livre a infusé tout l’album...
Megan (lapsteel) : Et puis il y a de vieux souvenirs qui sont remontés, quand nous étions enfants et que notre mère nous apprenait à chanter derrière le piano. Elle avait elle-même commencé à chanter avec ses sœurs. Il n’y a rien de mieux que l’harmonie en famille, avec des voix similaires. C’est comme une tradition. « Blood Harmony » veut dire que nous avons le même sang et la même voix.
D’habitude,vous composez et enregistrez tous les instruments à deux, à Nashville, mais pas cette fois...
R : Nous avons changé notre manière de travailler, c’est vrai. Nous avons tellement appris depuis 2017, nous savons nous enregistrer, nous pouvons tout jouer. Mais nous avions envie de réduire l’écart entre le son de l’album et la scène. Nous avons fait appel aux musiciens qui nous accompagnent en tournée sur certains titres, fait des prises live de batterie... Pendant la pandémie, mon mari, Tyler Bryant, qui est un musicien talentueux, passionné d’enregistrement, a conçu un home-studio chez nous à Nashville. Nous avions à disposition du matos des années 60/70 comme celui utilisé sur les albums que nous aimons, des amplis à lampes vintage... Puis nous sommes allés dans un studio à Berry Hill, une bourgade de Nashville dans le Tennessee, connue pour sa communauté de musiciens. Nous avons travaillé avec Roger Alan Nichols (Bell Tone Recording) pour finir l’album et enregistrer les voix.
M : Ce qui n’a pas changé, c’est que Rebecca et moi avons tout écrit à deux, les chansons, les arrangements... Nous sommes sœurs, nous travaillons ensemble depuis toujours, nous n'avons pas besoin de nous parler pour se comprendre. Un regard suffit.
C’est un enregistrement live en somme...
R : Sur certains titres seulement. Habituellement, nous tournons tellement que nous n’avons que deux semaines pour faire un album. Et à la réécoute, on finit par se dire que certaines chansons auraient mérité un autre traitement. Cette fois, nous avons eu trois ou quatre semaines pour faire mûrir nos idées. J’aime enregistrer live, mais enregistrer en pistes séparées nous permet de suivre le processus de plus près.
Bad Spell serait une réponse féminine à la chanson culte I Put The Spell On You...
R : À l’origine, oui, j’ai écrit cette chanson comme une réponse à celle de Screamin’ Jay Hawkins. Nous évoluons dans une scène blues rock qui compte de plus en plus de femmes chaque jour et qui amènent de nouvelles idées, de nouveaux points de vue dans la musique à guitares. C’est une bouffée d’air. J’ai eu envie d’écrire une réponse féminine car nous voulons être maître de notre destinée... ou maîtresses devrais- je dire (rires).
Vous avez déjà repris des standards en changeant les paroles. Les vieux blues ont souvent été écrits par des hommes. Quand vous les chantez, sentez-vous le besoin de les adapter pour une interprétation féminine ?
R : C’est vrai que le blues a l’air dominé par les hommes. Mais quand on creuse un peu, on voit qu’il a été popularisé grâce aux femmes : Sister Rosetta Tharp, Koko Taylor... J’aime Son House, B.B. King, Skip James, Muddy Waters, Mississippi Fred McDowell. J’aime leurs chansons, mais ce n’est pas toujours facile à chanter quand on est une femme artiste. Le point de vue des femmes a toujours existé, mais il faut continuer à l’alimenter et à le représenter...
M : Il y a beaucoup de chansons dans le rock et dans le vieux blues qui dévalorisent l’image de la femme. Elle n’a pas vraiment le beau rôle. Nous avons déjà fait des reprises sur lesquelles nous avons écarté certaines phrases que nous ne voulions pas chanter. Nous respectons profondément ces artistes blues, ces pionniers, et cette musique qui a donné vie au rock’n’roll. Mais il n’y a pas de mal à réécrire les paroles.
R : Attention ! Nous voulons chanter des chansons qui ont du sens pour nous. Mais il faut aussi respecter l’histoire : il faut regarder en arrière pour voir ce qui doit changer et apprendre du passé.
M : C’est pour ça que je parle de réécrire les paroles, pas l’histoire. Il y a cette tradition dans le blues, il se transmet et il n’est pas rare de trouver le couplet d’une chanson adapté dans une autre, les bluesmen se les appropriaient. Nous faisons de même : nous prenons un blues et nous l’adaptons à notre manière et à notre époque, qui est bien différente de celle à laquelle ces chansons ont été écrites...
Il y a deux ans, dans la foulée de « Self Made Man », vous avez sorti « Kindred Spirits », un album de reprises acoustiques pour pallier le manque de concerts. Onze reprises, de Robert Johnson à... Post Malone. Avez-vous une idée de nombre de reprises que vous avez faites avant d’arrêter cette sélection ?
M : Plus d’une centaine je pense !
R : C’était un vrai défi d’enregistrer ces reprises en studio. Pour faire la sélection, nous avons écouté nos fans. Mais nous aimons aussi surprendre, comme avec Take What You Want de Post Malone que nous avons fait découvrir à nos plus vieux fans qui n’ont sans doute jamais écouté cet artiste. Nous leur présentons dans une tout autre version et ils se disent : « ça ressemble à du Black Sabbath ». Surprise : c’est du rap ! Il faut rester curieux, garder ses oreilles grandes ouvertes, il y a plein de choses à découvrir quel que soit le style.
On vous retrouve toutes les deux avec de nouveaux instruments... Rebecca, on t’a vu avec une Jazzmaster, une Strat et maintenant une Telecaster...
R : Je me suis mise à la guitare assez tardivement, et pour cette raison je n’ai pas un modèle préféré. J’ai commencé par la Jazzmaster parce que j’aime Elvis Costello. C’est une super guitare, mais elle est un peu énorme pour moi. Je suis passée sur Strat. Et là, je me suis mise à la Telecaster pour certaines chansons de l’album qui avaient besoin d’un son qui botte les fesses à la manière de Keith Richards ! Et j’ai aussi une Gibson SG de 1969 que l’on m’a offerte, mais je ne tourne pas avec, elle est trop précieuse...
Et toi Megan, tu as opté pour un instrument plus moderne, abandonnant ton lapsteel Rickenbacker des années 50...
M : Oui, j’ai joué sur ce Rickenbacker pendant des années, il est en bakélite, très dense, très lourd. D’autant que je le joue debout, avec une sangle. Mais je commençais à ressentir des douleurs dans le dos après les concerts. J’ai eu envie de développer un instrument fait pour moi, à jouer debout. J’ai contacté ce luthier, Beard Guitars, qui fait des Dobro et de belles acoustiques pour lui proposer de me faire un lapsteel d’un nouveau genre. J’aime le son et la forme du Rickenbacker, mais il m’en fallait un plus léger. Je lui ai envoyé une série de photos et Lollar a conçu un micro custom Horseshoe. Ce modèle sera proposé prochainement à la vente sous le nom Electro-Liege. J’ai joué tout l’été avec le prototype. Testé et approuvé (rires)