Dans ce nouvel épisode de Palf, Julien Bitoun et Alexandre d’Anasounds comparent deux types de Delay : l’un à base de puces BBD (Bucket Brigade), la MXR Carbon Copy, devenue instantanément une référence en la matière, et l’autre basé sur le circuit intégré PT2399 comme nombres de pédales de Delay récentes, avec la Utopia de la marque niçoise. Revenons sur l’évolution de ces machines à distordre le temps.
À partir de la seconde moitié des années 70, les puces Bucket Brigade (BBD, mises au point par Philips en 1969) vont permettre l’essor des pédales de Delay analogique qui vont rapidement remplacer les antiques machines à bandes des années 50/60, lourdes, encombrantes et parfois capricieuses. Le principe : créer un effet de retard en faisant transiter le son par étages successifs dans une chaîne de condensateurs qui vont « sampler » le signal électrique successivement, à la manière d’une chaîne de valeureux pompiers se passant des seaux. On perd quelques « gouttes » de signal au passage mais c’est justement cette dégradation qui fait toute la saveur de ce type de Delay, qui vient s’intégrer très naturellement dans le mix et enrichir le son de la guitare. À ce petit jeu les Electro-Harmonix Memory Man, MXR M-118 Analog Delay, Boss DM-2 ou Ibanez AD-9 demeurent des classiques… intemporels. Seul problème : ces puces génèrent beaucoup de bruit de fond qu’il faut filtrer et obligent à se limiter à des Delay relativement courts (300 ms à l’époque, 600 ms généralement aujourd’hui, comme sur la Carbon Copy, voir plus), avec un son parfait pour un slapback bien court. Et dans l’ensemble un rendu assez sombre. D’ailleurs, malgré le succès jamais démenti de son best-seller, MXR a sorti en 2015 une version « Bright » de la CC. Mais les bidouilleurs sonores leur vouent également un culte pour leur propension magnifique à partir en auto-oscillation comme dans le final bruitiste de Karma Police de Radiohead, avec cette image de « robot qui brûle », comme dirait Julien Bitoun.
Technologie numérique Là-dessus est arrivée progressivement la technologie numérique qui a rebattu les cartes et permis de développer des effets de Delay plus longs, plus « propres », plus « hi-fi », ou au contraire plus tortueux encore, puisque les DSP de ces dernières années et leurs algorithmes toujours plus puissants ont particulièrement brillé dans la reproduction du son des vieux systèmes à bandes. Strymon, Catalinbread, TC Electronic, Eventide ou Empress en ont largement exploré les possibilités pour notre plus grand bonheur. Mais sans jamais détrôner totalement le statut à part des Delay BBD.
BBD vs PT2399 En raison de l’arrêt de la production de la plupart des puces BBD à la fin du XXe siècle (par Reticon et Panasonic – les puces d’aujourd’hui sont de fabrication chinoise, par Xvive notamment) et de leur coût, nombre de concepteurs de pédales ont développé de nouveaux circuits en travaillant autour d’un autre type de circuit intégré, le PT2399 de Princeton Technology utilisé notamment pour… les systèmes de karaoké ! Vous savez, ce slapback/reverb un peu cheap ! Il s’agit d’un circuit numérique « analog-voiced » relativement simple, au fonctionnement assez proche des BBD, permettant un Delay de 30 ms à 340 ms (que l’on peu rallonger comme avec les BBD en multipliant les puces), mais qui permet de retrouver assez fidèlement les sonorités analogiques tant recherchées (le son dry restant 100 % analogique). Les fabricants vont s’en emparer, l’« overclocker » (jusqu’à 1 seconde), le filtrer, ajouter de la saturation ou de la modulation (en analogique), et on le retrouve dans nombre de pédales simulant le son de vieux échos à bandes (Keeley Mag-Echo, Wampler Faux Tape Echo, Catalinbread Montavillian, Anasounds Utopia), ou dans les effets expérimentaux aux sonorités plus lo-fi (Death By Audio Echo Dream 2, Caroline Guitar Company Kilobyte, EarthQuaker Devices Space Spiral, SolidGoldFX Electroman MkII, JPTR FX Fernweh). Avec une plus grande souplesse d’utilisation et un meilleur rapport signal/bruit, le PT2399 permet d’obtenir des effets de Delay plus ou moins longs, avec moins de pertes d’aigus. C’est justement dans cet esprit que la Utopia d’Anasounds a été conçue, avec un Delay relativement court (400 ms, extensibles à 600 ms) pour un son sans trop de dégradation et moins sombre qu’un delay BBD. Si le rendu est des plus convaincant, l’utilisation en auto-oscillation est sans doute un peu moins sauvage : plus dans l’esprit d’une « soucoupe volante qui se pose sur du gazon ».
Que l’on soit puriste ou expérimentateur, le plus important ici reste de trouver le type de pédale qui sied le mieux au(x) son(s) que l’on recherche, sans brider sa créativité. Et ne pas se priver de telle ou telle technologie, quitte à tirer le meilleur parti de chacune !
Retrouvez notre section consacrée aux pédales de Delay dans le Guitar Part HS Collector n°16
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