Il y a chez Paul Personne cette faculté à tracer sa route sans se retourner et à sauter d’une corde à l’autre sans jamais se perdre, repartir de zéro pour aller puiser dans ses influences les plus profondes. Le résultat, « Funambule (ou tentative de survie en milieu hostile) », est un album rock habité par les brumes des 70’s et les claviers des Doors, dont il nous dévoile les coulisses. Propos recueillis par Benoît Fillette & Roman Lugassy - Photo : © Benoît Fillette
À l’écoute de ton nouvel album, on est frappé par ce jeu de question-réponse entre ta guitare et les claviers, qui lui donne une touche très 70’s. Quel était le point de départ de « Funambule » ? Paul Personne : À partir de 2011, j’ai commencé à bosser avec mes potes du groupe À L’Ouest. On était deux guitares, basse, batterie. J’ai toujours été fan de tous ces groupes : Allman Brothers Band, Wishbone Ash, in Lizzy... On chantait tous les chœurs, avec ce côté rock qui me plaît beaucoup. On a fait « FaceA »,« FaceB »,« Puzzle 14 », la tournée « Electric Rendez-vous ». Et au bout de quatre ans, quand la tournée s’est arrêtée, je leur ai rendu leur liberté. Je me suis retrouvé face à moi-même, face à ma page blanche habituelle. J’ai commencé à réécouter des choses que j’avais enregistrées sur mon dictaphone, à lire mes notes dans mes carnets et là, j’ai ressenti l’envie de repartir à nouveau. Sur ma discographie passée, il y a toujours de l’orgue Hammond, du piano, du sax... Ça faisait longtemps que j’avais envie de revenir à cette formule. Même sur la tournée avec À l’Ouest, je voulais ajouter un clavier, mais économiquement, c’était chaud. J’ai connu l‘âge d‘or avec des tour-bus à couchettes, le semi-remorque pour le matos qui transportait la prod et les lights... Maintenant, il faut penser autrement, c’est back to the roots ! Mais ce qu’il y a de bien là-dedans, c’est que tu dois aller à l’essentiel.
C’est donc un retour aux sources, musicalement parlant... Ça faisait longtemps que je n’avais pas fait de démos à la maison. La dernière fois, c’était en 99 sur mon petit 4-pistes, avant d’enregistrer « Patchwork Électrique » avec les Américains. Depuis, sur les tournées, j’amenais mon dictaphone, sur lequel j’enregistre des bouts de chansons. Si, j’ai dû faire des démos avant « Amicalement Blues », en 2007, avec Hubert-Félix Thiéfaine. Il m’avait demandé si j’avais autre chose que les chansons sur lesquelles on avait bossé pour Johnny Halliday (les deux musiciens avaient été sollicités pour écrire et composer un album pour Johnny, « Le Cœur d’un homme ». Leur projet refusé, ils décident de le sortir sous leur nom le même jour, ndlr). Je lui avais répondu : « oui, j’ai plein de trucs ! » Depuis, je suis passé sur un 8 pistes. C’est un peu fastidieux de faire des démos. Boîte à rythme sur la piste 1, puis guitare rythmique avec chant témoin. Après, on met une petite basse, une deuxième guitare, et comme j’entendais des claviers, j’ai joué quelques bouts sur mon Korg. Je précise que je joue très mal du piano. Sur la dernière tournée, je m’amusais parfois à émuler un orgue avec une pédale Electro-Harmonix C9 que je passais dans un Leslie. Quand je faisais mes démos, il y avait déjà ce dialogue guitare/claviers : donc pour moi, la nouvelle formation serait bass/-batterie/claviers/guitare. Le truc quand tu joues de la guitare et que tu veux avoir un son de clavier, il ne faut jamais bender une note, mais jouer avec les doubles notes que tu peux faire au clavier. Quand je suis arrivé au studio et que j’ai fait écouter aux musiciens mes démos, le clavier, Mike Latrell, a fait « Paul c’est super, c’est vraiment de l’orgue Hammond ? ». « Non, non, c’est une guitare qui émule un orgue, passée dans un Leslie ». J’avais aussi une autre pédale Electro-Harmonix qui émule le son des Wurlitzers (Key9, ndlr), parce que j’entendais tous ces sons-là, Fender Rhodes, Wurlitzer, piano acoustique... J’avais passé des années avec Tony à faire « twin guitar », à m’amuser à la Wishbone Ash. Là, j’avais vraiment envie de cette richesse de claviers qui m’avait manquée harmoniquement depuis pas mal d’années.
Dans ce jeu avec les claviers, on sent l’influence des Doors, avec un clin d’œil sur Les Mêmes quand tu chantes ces quelques mots « De leur vie... » comme l’aurait fait Jim Morrison... Un son rock 60’s/70’s très vaporeux, et un jeu de guitare blues très naturel et fluide... J’ai eu la chance d’être ado dans ces années-là et de me prendre dans la tronche tous ces groupes qui arrivaient, les Beatles, Stones, Kinks, Animals, Jimi Hendrix, John Mayhall avec Eric Clapton, Mick Taylor, Peter Green, Carlos Santana... J’ai été influencé par tous ces gens, mais quand je prenais ma guitare je n’essayais pas de piquer l’intro de Little Wing ni de Stairway To Heaven que je ne sais même pas jouer (rires). Je ne peux pas lire les tablatures, je suis un autodidacte complet, je joue à l’instinct. En studio, le clavier me disait : « c’est quoi ton accord ? » Je n’en savais rien, je lui montrais juste. « Ah oui, c’est un majeur 7 augmenté ». Je ne connaissais pas le nom de l’accord, et apparemment ça ne m’a pas empêché de composer ni de faire des disques. J’ai adoré ce mélange de musique blues et latino du premier Santana. Les Doors aussi. On jouait trois fois trois quart d’heure dans un club et à un moment le DJ passe Light My Fire. J’ai tout de suite flashé. « C’est un groupe américain qui vient de sortir », m’a-t-il dit en me montrant la pochette. Après, je n’ai pas arrêté de composer des trucs en La mineur. J’ai aimé les Allman Brothers, l’instrumental In Memory Of Elizabeth Reed de Dickey Betts qui se balade sur les majeur 7, La mineur, Si mineur... Quand j’ai signé mon premier contrat en maison de disques avec mon groupe L’Origine, j’avais 16-17 ans. On avait une séance de studio à faire aux anciens studios Pathé-Marconi. Il y avait ce groupe de free-jazz qui était là en même temps. On était en plein dans la contre-culture, c’était 1966/67, on avait les cheveux longs, on était antisystème. J’aimais bien les mélodies du free, mais c’était un drôle de truc. C’était The Art Ensemble Of Chicago. Quand tu regardes ça avec tes yeux de môme de 17 piges, tu te dis : « est-ce vraiment de la musique ? » En même temps, comme tu vis une époque en pleine évolution, tu remets tout en question. Là, tu trouves une sorte de soupape de sécurité musicale où les mecs s’exprimaient à en crever par moments. J’aime bien aussi cette manière libre de penser la musique et d’installer un climat.
Tu laisses toi aussi une place à l’improvisation ? C’est le genre de trucs que je fais parfois sur scène. Les gens peuvent parfois être déroutés, mais il faut se laisser aller à certaines ambiances. Je ne joue jamais les chansons de la même manière, en tout cas je laisse de la place à l’improvisation. Je n’ai jamais été pour les trucs carrés, je m’emmerderais à mourir de jouer la même chose tous les soirs. J’avais entendu un album un peu barré de Peter Green (« The End Of Tiger », 1970), quand il n’était pas redescendu d’une période d’acide, où il se barre dans des impros complètement barjos à la Wah-Wah notamment, ce qui était inhabituel pour lui. C’est ce que j’aimais bien chez Jimi Hendrix aussi, son côté chanson avec des morceaux concis comme Fire, et ces moments où il se barrait on ne sait où... Pour revenir aux influences, je crois que dans chaque album il y a eu une ou plusieurs chansons avec des relents des Doors, Exit Of Eden avec Hubert- Félix Thiéfaine. J’ai aimé l’écriture de Jim Morrison, sa voix de crooner, alors que la plupart des chanteurs de l’époque avaient tendance à brailler. Sur les chansons en Mi mineur il y a toujours cette ambiance qui se balade entre les Doors ou Crosby... J’adorais l’album « If Only I Could Remember My Name » où il avait tous ses potes, Jefferson Airplane, Neil Young... Un album fantastique, que j’ai écouté, réécouté dans des états divers avec toutes ces guitares qui s’entremêlent, les voix... Ces disques de légende font partie de ma vie. Ça doit être stocké là, dans ma tête, et sans m’en rendre compte quand je prends une gratte, il y a des trucs qui sortent.
Le titre de ce nouvel album donne matière à réflexion avec sa parenthèse « Funambule (ou tentative de survie en milieu hostile) ». Tu tiens toujours ce rôle d’observateur, notamment dans Comédia, sur ce jeu des politiques qui n’est pas des plus drôle... J’avais déjà fait « Rêve sidéral d’un naïf idéal » à l’époque... C’est une prise de conscience que j’ai eue tout gosse, que ça n’allait pas être facile. Ça ne s’est pas trop mal passé avec mes parents jusqu’à un certain âge. Quand t’es môme, on t’élève dans le monde des Bisounours... À l’école, vu que les mômes sont assez cruels, tu commences à sentir des choses, une rivalité bien conne, une notion de pouvoir, un rapport de force. Et plus tu grandis, plus ça empire. Tu regardes le monde des adultes et tu te demandes : « est-ce que j’ai vraiment envie de devenir comme eux ? ». Le monde des adultes ne m’intéressait pas, je n’avais pas envie d’avoir la même vie que mes parents ou que ceux que je voyais rentrer dans le rang. Je me décalais de plus en plus et je me demandais si j’étais normal. Tu commences à te poser des questions, tu bouquines, t’écoutes de la musique.
C’est l’âge où on se fait sa propre éducation... Ces mecs sont des super guides quand tu essayes d’être autonome. Dylan ou Hendrix t’apprennent une partie de la vie. Après, tu te prends des claques dans la gueule, tu agis d’une certaine manière et en retour on t’insulte. Tu apprends à vivre dans cette putain de jungle soi-disant civilisée, mais qui ne l’est absolument pas, où les codes changent tous les jours. Tu te dis qu’il y a des gens bien et des ordures. J’ai commencé à écrire une chanson il y a trois ou quatre ans, qui n’est pas encore finie, ça parle d’un bébé. C’est génial de voir naître un bébé, mais tu ne peux t’empêcher de te demander : « que va-t-il devenir ? » Si ça se trouve ce sera un putain d’enfoiré ! Hitler a été bébé, comme tous les tyrans. Ce titre « Tentative de survie en milieu hostile », parle de ce monde qui pourrait être pas trop mal, mais qui reste hostile. Quand je vois comme l’être humain peut dériver et passer dans la violence extrême. Le beauf, tu le sens venir, tu vois à peu près où il vote. Mais il y en a, tu ne les sens pas venir, entre diable et démon. Après, tu as des gens qui créent des choses pour améliorer la vie de l’être humain, mais souvent utilisées en dépit du bon sens. Il y a des moments où je me dis qu’on ne peut pas arrêter les progrès et que l’être humain cherche toujours à améliorer son confort, mais parfois il faudrait savoir se poser. On est en train de voir les désastres d’internet, cette haine qu’il y a sur ces réseaux sociaux. Avant, on retrouvait cette haine dans les bars ou dans les bals quand les mecs se castagnaient et s’insultaient. L’être humain, dans toute sa beauté et toute sa laideur. Je dis toujours qu’il faudrait un JT sur les actions positives des gens dans la vie. On ne parle que des fout-la-merde qui cassent tout. Et donc, il y a ce mélange des deux, ceux qui détruisent et ceux qui passent leur temps à soigner. La musique, c’est une sorte de thérapie qui fait du bien heureusement. Je suis rentré en studio en 2018, mais les textes ont dû être écrits à l’automne 2017, avant tout ce qui s’est passé dans le pays. Mais c’est intemporel, vu que l’être humain ne change absolument pas. Je peux toujours chanter Barjoland sur scène, je ne suis pas à contre-courant. J’ai écrit des trucs comme Comedia suite aux élections américaines et françaises : tous ces mauvais comédiens qui t’en mettent plein la tête et qui ne pensent pas à ce que devrait être le monde...
L'homme à la Gibson S’il s’est laissé tenter par une acoustique Guild qui traînait dans le studio, Paul Personne n’a amené que deux guitares à Forge-les-Eaux (studio 4A Sound Factory). « J’ai tout fait avec ma Gibson Les Paul Reissue 59’, qui est assez légère pour une Les Paul Standard, et ma SG de 68 avec un Vibrola que j’ai depuis très longtemps. Je me suis branché dans une tête Orange Dual Terror sur un baffle Mesa Transatlantic. J’ai terminé l’enregistrement au studio ICP, à Bruxelles, où John (hastry) le taulier a un hangar rempli de matos vintage. J’ai joué sur un Vox comme celui des Beatles, une tête Marshall 50 watts des années 60 qui saturait très vite, un vieux Fender pour la guitare lead de Bonheur... J’ai bien pioché plein de petits trucs comme ça, mais sinon je voulais rester sur quelque chose de simple. »