Jusqu’à l’arrivée de Jack White avec son Seven Nation Army, le riff le plus célèbre du rock et que l’on enseignait à tout apprenti guitariste était celui de l’immortel Smoke On The Water, créé par l’un des musiciens les plus mystérieux de l’histoire. Ce Jack « blanc » qui préfère le noir (à tous les sens du terme), ou le bleu, est tout aussi intrigant et imprévisible. Preuve en est cet album « secret » qui, loin d’être anecdotique dans sa riche discographie, a de fortes chances de passer pour le meilleur de toute sa carrière, même, et surtout, chez ses fans hardcore quelque peu déboussolés par ses trois productions précédentes, « Boarding House Reach », « Fear of the Dawn » et « Entering Heaven Alive ». Depuis quelques semaines que tourne ce « No Name » sur notre platine (seul vrai moyen d’apprécier sa qualité), le doute n’est plus permis. On tient là un album majeur qui entrera dans l’histoire et dont on se souviendra d’ici des décennies, au moment de refaire un classement des albums essentiels de l’histoire du rock.
Ce n’est pas qu’on en avait marre de l‘éminemment populaire Seven Nation Army, mais force est de reconnaître qu’en dépit de la qualité de ses compositions depuis, Jack White (un nom à rayer désormais ?) n’avait toujours pas trouvé un remplaçant à ce titre entêtant. L’accouchement aussi heureux qu’inattendu de ce « No Name » semble n’avoir pour but que d’asséner des morceaux aussi addictifs, pieds au plancher, sans temps mort, sans le moindre « filler » (pas la moindre ballade), et un retour appuyé du côté de Détroit (MC5 ou même le Ted Nugent période Amboy Dukes…), quand « No Jack » ne fait pas un salut amical à AC/DC ou Led Zeppelin... Un hard rock moins primitif qu’il en a l’air avec des déluges de guitare incandescente et un chant ébouriffant. Cet album fait plus que friser la perfection il lui fait une jolie « permanente ».
Depuis qu’il a son studio dans son QG de Third Man à Nashville, White enregistre quand bon lui semble et il est bien le seul à savoir quand il a de quoi remplir un album ou même si ce qu’il met en boîte verra le jour d’une façon ou d’une autre. C’est ce qui explique que, pour la première fois, « l’homme mystère » a pris tout le monde par surprise, qu’il s’agisse de ses proches ou du reste de la planète. Parmi ces derniers, Christina, Dan et Thibault ont dû s’adapter à l’une des sorties d’album les plus étranges depuis l’origine du disque.
« J’ai commencé très tôt à savoir qu’il se passait quelque chose et qu’il enregistrait de façon intensive, raconte
Christina Inman, responsable de Third Man Hardware et du merchandising du label. Il me demandait de lui procurer du matériel de plus en plus régulièrement. C’est Dan qui m’appelait généralement depuis le studio et j’entendais bien la musique derrière. Au bout d’un moment, j’ai demandé à Dan : « Jack est-il en train d’enregistrer de nouvelles chansons ? Et Dan me disait juste : « Disons qu’il est très inspiré en ce moment ! » Mais, du jour au lendemain, Jack nous a dit qu’il avait fini un album et qu’il devait sortir immédiatement. Quelques jours avant, je savais juste qu’il avait besoin de tel ou tel effet, ou d’expliquer ce qu’il cherchait aux gens de Fender... Et là, nous recevons des paquets d’albums blancs, sans rien d’inscrit, avec pour mission de les donner gratuitement dans nos magasins. Je travaille pour Third Man depuis sept ans, alors je suis témoin de son excitation dès qu’il est sur quelque chose de nouveau et d’excitant et, là, il était d’un incroyable enthousiasme. Mais, si vous nous demandez, à Dan et moi, quel genre de patron est Jack, on répondra que c’est avant tout un ami. Depuis le début de la tournée, vous pouvez voir à quel point il est heureux à ce stade de sa carrière. » Christina Inman, la « third woman » de Third Man gère le département Hardware, assurant la liaison pour des collaborations, notamment Fender ou les Français d’Anasounds. Son rôle reste essentiel également dans tout ce qui concerne le merchandising.
« Dès les premières séances, j’étais présent au studio de Nashville pour installer le matériel et m’assurer que tout fonctionnait bien, témoigne Dan Mancini, guitar-tech de Jack depuis 2018. C’est vraiment passionnant de travailler avec lui, de le voir aussi dynamique et inspiré. J’ai commencé par m’occuper de tout son équipement en tournée, mais, en studio, ça devient très différent. Jack me demande : « Comment je pourrais obtenir ce genre d’effet, de quel gadget j’ai besoin pour avoir ce genre de son… » C’est comme ça que, de fil en aiguille, j’ai commencé à collaborer avec Third Man Hardware, pour développer des pédales d’effets ou autre. Mais je ne veux pas exagérer mon rôle. Je suis juste là pour rendre les choses plus faciles et, surtout, plus rapides. » Dan Mancini fait partie de la garde rapprochée de jack White, en tournée comme en studio, avec la lourde charge de s’assurer que Jack dispose rapidement de tout ce dont il a besoin selon son inspiration.
Cette fois, Jack White ne voulait effectivement pas s’éterniser. Dès qu’il a senti qu’il avait de quoi remplir un album, il n’a surtout pas voulu attendre des mois pour qu’il soit distribué, comme le font d’ordinaire tous les musiciens.
« Jack a enregistré l’album en 2023/2024. Mais des bribes par-ci par-là. Il l’a vraiment fini au deuxième trimestre 2024, explique Thibault Guilhem, l’homme de confiance de Jack en France. Une fois l’album fini, il a commencé à le faire écouter à ses amis Ben Blackwell, Ben Swank ; et Dave Buick, qui sont les trois responsables du label Third Man Records avec lui. Ils. Il fait donc écouter cet album à toutes ces personnes-là, pour qu’ils décident, à leur sens, si celui-ci est extraordinaire ou non. Dans la mesure où c’est aussi un bon contre-pied aux deux albums sortis précédemment. Il a également réfléchi à sa stratégie de sortie en disant qu’il voulait rendre une nouvelle tournure niveau marketing et sortie d’album. Les deux albums en question étaient déjà disponibles en écoute déjà six mois à l’avance, moi je les connaissais avant leur sortie officielle, cette fois il voulait prendre tout le monde de court en disant : « On va sortir l’album gratuitement deux semaines plus tard, disponible dans les trois boutiques de Third Man Records. » De ce fait, l’album vinyle était entièrement blanc avec juste inscrit « No Name » au milieu. »
Avant tout fan de très longue date, Thibault a écrit son mémoire de fins d’études d’ingénieur du son sur Third Man. C’est à cette occasion qu’il a eu un premier contact avec le label. Engagé par la suite par Michel Pampelune dans son magasin Fargo à Paris, notamment grâce à ce mémoire, il y installe une véritable tête de pont pour tous les disques de Third Man. Il se lance ensuite dans la distribution et propose alors de signer le label pour toute la France. S’orientant vers la promotion, il offre par la suite ses services d’attaché de presse, ce qui lui permettra de rencontrer enfin Jack White à un concert des Raconteurs en 2019. « Ensuite, se souvient-il, j’étais allé à l’inauguration de la boutique Third Man à Londres et, cette fois, on a pas mal discuté, notamment des Beatles ! »
On ne saurait douter que l’exemple des Beatles avec Apple, qui devait être bien plus qu’un simple label, et même le projet initial de « Get Back », avec des répétitions filmées en vue d’un retour anonyme sur scène pour enregistrer en live, ont particulièrement marqué Jack White. Sauf qu’il semble avoir réussi là où les Fab Four ont échoué.
« À l’origine, très peu de personnes étaient informés de cette initiative, poursuit Thibault. Moi je n’étais absolument pas au courant. Le samedi matin, je décide d’envoyer un mail à Third Man en disant : « Salut les enfants, c’est quoi ces conneries ? C’est quoi ce bordel ? » Et pas de réponse. Le mardi suivant, je reçois un courriel du type : « Bonjour, Thibault, arrête tout ! Oui, effectivement, nous n’avons prévenu personne, c’est la sortie du nouvel album de Jack, nous faisions ça pour créer un petit buzz, mais c’est devenu plus important que prévu. Donc nous avons décidé de sortir celui-ci dans dix jours. » Dès l’envoi du courriel en question, aucun distributeur ne pressait l’album hormis ceux qui précédemment avaient été offerts dans les boutiques. Celui-ci n’avait pas de nom ni de pochette ; donc il a bien fallu trouver un nom, Jack a donc gardé le « No Name. » Pendant près d’un mois, le disque fut disponible uniquement chez les disquaires indépendants avec sa sortie officielle le 2 aout 2024, également en digital, et une sortie le 13 septembre 2024 pour le vinyle noir et en CD dans tous les points de vente. »
Jack était, quant à lui, déjà en train de faire ses valises pour partir en tournée sans plus attendre. Une fois encore, il a pu compter sur son équipe pour réaliser l’impossible. « Une fois la sortie officielle de l’album, ajoute Thibault, Jack White a eu envie de faire une tournée, qui normalement, elle, se prépare des mois à l’avance, il a donc décidé de se produire uniquement dans des petites salles afin d’être plus libre et donc, de ne jouer qu’à la dernière minute afin de créer la surprise chez son public. Par exemple, le concert d’aujourd’hui situé dans le Minneapolis a été annoncé avant-hier. Lorsqu’il est venu jouer à Londres, le concert a été annoncé deux jours auparavant. Il voulait vraiment prendre le contre-pied de ce qu’il faisait. Au-delà de l’artiste ou du musicien talentueux que l’on connait, c’est aussi un capitaine d’industrie comme on a pu le voir avec l’énorme machine qu’est Third Man Records. »
« Quand on en a parlé avec Dan, poursuit Christina, il me disait : « Yeah ! Ça va être comme des shows punk rock ! ». À son niveau, c’est extraordinaire qu’il puisse se permettre ça. Cela illustre parfaitement le genre d’artiste qu’il est. Mais on se demande déjà ce qu’il va pouvoir inventer ensuite. En ce moment, croyez-moi, il a surtout envie de jouer fort, très fort ! »
Thibault conclut : « Tout le projet « No Name » a pour but principal de surprendre le public avec l’annonce de dates dans des petites villes, façon : « Hello ! Je viens jouer chez vous ! », comme ce que contient l’album en lui-même, car c’est à l’opposé de ce que Jack White proposait musicalement depuis des années. On revient sur quelque chose de plus brutal avec un retour aux sources à la White Stripes. »
« Selon moi, lorsqu’on est lié d’amitié avec une guitare, il n’y a pas de raison de briser cette amitié »
« J’ai commencé à développer mes idées à la fin de l’adolescence, en particulier parce que je ne jouais pratiquement que de la batterie jusque-là. Tout a changé lorsque j’ai entendu Son House. Je me suis servi du peu que je connaissais sur la guitare et j’ai commencé à approfondir tout ça.
« Certains peuvent appeler le blues « la musique du diable », mais le blues et le rock des débuts ont surtout à voir avec les émotions dont les gens ne voulaient pas parler. Ce n’est pas que le rock représentait le mal, mais plutôt qu’il soulignait des choses peu agréables. Le rock, c’est un plongeon dans les bas-fonds »
« À la maison, j’écoute des vinyles. Mais ce n’est pas si simple, il y a toujours du bruit avec les enfants... Et la nuit, quand ils dorment, je ne peux pas pousser le volume (rires). La voiture, il n’y a rien de mieux. »
« Lorsque j’ai découvert les opens de La et de Mi, un monde entier s’est ouvert devant moi »
« C’est bien de conserver l’instrument avec lequel tu es en confiance, celui qui t’accompagne toute ta vie de musicien. Mais c’est important d’essayer autre chose pour grandir en tant que guitariste. »
L’étroite collaboration entre Jack White et Fender en a étonné plus d’une, mais, comme toujours avec lui, elle s’est développée aussi rapidement que naturellement, comme l’explique Christina Inman : « Lors d’une réunion avec Jack, quelqu’un a demandé :
« Mais pourquoi il n’y a pas de guitares ? Et lui a répondu : « Je ne veux pas me lancer dans la conception d’une guitare ! » On a tout de même défendu l’idée en disant : « Mais s’il s’agit vraiment d’une guitare Third Man Hardware, pas juste une guitare Jack White signature ? » Et il s’est mis à y réfléchir. Il commençait alors à collaborer avec le custom shop de Fender et il en est venu naturellement à développer une collection d’instruments basée sur ses préférences. J’ajoute que les relations avec les gens de Fender sont incroyablement cool et détendues. »
Il en va de même avec les Niçois d’Anasounds. La marque d’Alexandre Ernandez a en effet été contactée par Third Man il y a quelques mois pour concevoir une pédale reverb unique. Jack White avait joué sur une Element Spring Reverb Anasounds et il a voulu aller plus loin dans la conception d’une pédale reverb analogique à ressort. Le résultat, c’est cette La Grotte, d’une incroyable polyvalence. Chose rare, elle convient à tous les styles, du hard rock au blues, en passant par la soul ou la pop.