Vigier, c’est un peu notre fierté nationale question instrument de musique, un peu comme la gastronomie française. Voilà plus de trois décennies que Patrice Vigier, le créateur de la marque, ne ménage pas sa peine pour sortir des instruments à la qualité irréprochable avec toujours ce souci de la recherche et de l’innovation. À quand une appellation contrôlée ? Propos recueillis par Olivier Ducruix - Photos : © Olivier Ducruix
Comment est née la marque Vigier ? J’ai été remercié de l’école à la fin des années 70. En 1978, j’ai commencé à faire de la réparation et deux ans plus tard, je créais la société Vigier pour faire des guitares. Cela fait donc 33 ans…
As-tu suivi une formation quelconque pour cela ? À la sortie de l’école, je n’avais aucune formation. J’avais choisi plutôt une voie informatique, mais c’était secondaire. J’ai donc approché les luthiers pour suivre une formation et, à l’époque, il n’y avait que les frères Jacobacci dans l’électrique qui m’ont aimablement répondu après leur avoir demandé s’ils pouvaient me prendre comme apprenti : « Ouais, on les forme et puis ils s’en vont » Autant dire que c’était non (rires). Ensuite, je suis allé voir les luthiers spécialisés dans les violons, mais rien ne s’est passé. J’ai donc commencé en autodidacte. J’y suis arrivé, mais ça n’a pas été facile. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de possibilités car, à part les frères Jacobacci, il n’y avait pas de constructeurs de guitare. Ma formation, je l’ai faite grâce à mon père qui était plus que bricoleur. Il était capable de tout faire : de la mécanique, des maisons, de la menuiserie. Il m’a appris à ne pas avoir de limites, à avoir confiance en moi pour pouvoir mener à bien mon projet. Je le regardais faire et j’ai acquis mon savoir faire de cette manière, en lui passant des clefs de 10 ou un marteau. Et quand j’ai voulu m’y mettre après, c’est sorti naturellement.
Mais les frères Jacobacci ont quand même eu une importance dans la création de Vigier ? Oui, bien sûr. Ils avaient une rubrique dans un magazine tenu entre autres par Dany Giorgetti où ils parlaient de la fabrication des instruments de musique. On arrivait donc à y glaner quand même quelques informations.
Tes débuts ressemblent à quoi ? Des croquis sur un petit carnet ? Des bouts de bois que l’on essaye d’assembler ? Ah non, Dieu m’est apparu une nuit et les guitares se sont faites (rires). Bien sûr, j’ai commencé à dessiner sur un petit carnet. Je dois l’avoir encore, mais c’est très moche ! Ensuite, j’ai acheté une planche à dessin, j’avais suivi une formation de dessinateur industriel, et j’ai fait ainsi mes premiers modèles.
Et le déclic pour passer du croquis dessiné dans sa chambre sur un petit carnet de fortune à la volonté de créer ses propres modèles ? En fait, le vrai déclic, c’est quand je réparais des instruments avec ma modeste expérience de guitariste. À l’âge de l’adolescence avancée, j’ai acheté une guitare américaine haut de gamme. Je me souviens encore très bien où je la sors du carton et les quarts de rond étaient irréguliers. Cela m’a choqué parce que la guitare, à l’époque, valait quand même 3000 francs. Cette guitare, je l’ai amenée chez les frères Jacobacci parce qu’il fallait changer les barrettes. Ensuite, j’ai fait des modifications : les mécaniques, l’électronique, etc… Et j’ai vu ainsi que je pouvais travailler sur des guitares.
Quel fut le premier modèle estampillé Vigier ? En 1980, lors du salon de la musique, je présente les séries Arpège : il y avait une basse Arpège 4-cordes frettées, une fretless touche métal, une guitare frettée, normale, et une autre sans les frettes. Il y avait déjà pas mal d’innovations, comme le chevalet, l’électronique active, ce qui n’était pas très courant à l’époque et qui était rechargeable, le système de renforcement du manche.
Pour l’époque, cela fait pas mal d’innovations et, en France, tu as dû passer pour un chercheur un peu fou… Comment ces idées ont-elles germé dans ton esprit ? Les idées me viennent quand je vois un problème et je dois le résoudre. Par exemple, les chevalets de l’époque étaient quand même très rudimentaires, c’était presque honteux… Et nous avons voulu en proposer un plus moderne, plus aboutis. Pour la guitare fretless, c’était une envie d’ouvrir une porte vers de nouveaux horizons musicaux.
Tu as précédemment évoqué ta modeste expérience de guitariste. Peut-on être luthier sans être un minimum musicien ? Pour moi, non. On peut être un bon artisan, savoir bien travailler de ses mains, mais pour comprendre l’instrument, il faut savoir jouer. C’est vraiment indispensable.
Qu’en est-il du choix des bois et qui s’en occupe ? C’est moi qui m’en occupe. J’achète des bois en France. Ce n’est pas du nationalisme, c’est tout simplement parce que la France est le premier massif forestier européen tant par sa diversité que par la quantité. En France, on a un bon système qui fait que l’on replante plus qu’on ne coupe et on a ainsi des bois de qualité. Je trouve complètement idiot d’aller acheter de l’érable de l’autre côté de l’Atlantique pour le ramener ici. Et je ne suis pas le seul à penser cela. D’autres luthiers français ont le même fournisseur que moi.
Le marché de la guitare connaît bien sûr la crise. Aujourd’hui, qu’est-ce qui fait qu’une marque comme Vigier peut encore continuer son activité ? Pour pouvoir continuer son activité, il faut avoir des soutiens et en 30 ans, j’en ai eu. Tout d’abord ma famille. Au début de Vigier, mon père travaillait à mi-temps, voire plus, gratuitement… Mes parents ont hypothéqué leur maison pour que je puisse acheter 3 ou 4 machines alors que je n’avais pas encore prouvé que j’allais faire quelque chose. À la fin des années 80, Jack Lang a aidé pas mal d’entreprises de manière financière. Il y a aussi les journalistes qui vont parler de ta guitare, sans pour autant qu’il y ait une compensation publicitaire derrière.
Certains fabricants de guitares et de basses pointent du doigt les gros sites marchands en disant que ces derniers ont fait du mal à certains artisans ou petites structures. Qu’en penses-tu ? Aujourd’hui, le marché européen est dominé par un acteur et je trouve ça dangereux parce que, ce qui est important, c’est la diversité, autrement dit avoir accès à différentes formes de cultures. La musique industrielle, franchement, ça ne me plait pas beaucoup. Acheter une guitare de cette façon… Franchement les gars, faut sortir de derrière vos ordinateurs ! Cet acteur, que je ne nommerai pas mais qui est allemand, fait ce qu’on appelle du dumping. Il vend 2 à 3% moins cher en dehors de son propre marché. Et ces pourcentages correspondent à la marge des revendeurs. Donc, il asphyxie doucement tous ces concurrents et personne de ne dit rien. C’est injuste.
La volonté d’endorser des artistes est-elle venue très rapidement ? Oui, dès le début même. À l’aube des années 80, les bassistes des plus grands groupes de la planète ont joué sur nos instruments vu qu’à l’époque on ne vendait pas de guitares ! Sans doute parce que les guitaristes étaient fermés, même si Steve Lukather en utilisait une. Au début, on vendait 80% de basses et 20% de guitares. J’ai toujours dit que tu peux faire les meilleures guitares du monde, si personne ne joue dessus, tu ne les vendras pas. C’est une obligation d’avoir des artistes endorsés. Je montre dans les guitares que nous faisons qu’il y a de la sincérité et nos relations artistiques sont aussi basées sur cette même sincérité. En tant qu’entreprise, on pourrait financer des artistes pour qu’il joue sur nos instruments pour essayer d’en vendre plus. Cela ne me plait pas et si je le faisais, je me retournerai plusieurs fois la nuit… Au fil des années, on a développé avec les artistes une vraie relation de confiance. Je ne vais pas tous les citer, mais Christophe Godin en France, ou Ron Thal aux États-Unis, s’ils ont choisi la marque Vigier, c’est parce qu’ils sont persuadés avec honnêteté de jouer sur les meilleures guitares. Et c’est ça qui compte pour moi. Je n’ai pas envie de payer des artistes pour faire des pseudo cliniques. Cela me met mal à l’aise.
Mais peux-tu envisager cette collaboration avec des artistes ou des groupes dont tu n’es pas forcément fan de leur musique ? Mais bien sûr, sans problème. La musique est trop vaste, on ne peut pas se tenir à ses propres goûts. Nos guitares sont faites pour jouer toutes les musiques, sans exception. On a tendance à nous mettre dans un petit tiroir « shred ». Franchement, ça me gonfle. On a tellement plein d’artistes éloignés de ce mouvement, c’est dommage de l’oublier.
Ron Thal semble quand même être l’artiste emblématique de Vigier, non ? Oh, il y en a plusieurs. Pour moi, Roger Glover est tout autant emblématique. Les deux premiers morceaux de rock que j’ai entendus sont Instant Karma! Et Black Night de Dee Purple. Je suis tombé dans la marmite… Pour moi, Dee Purple, c’était LE groupe de mon adolescence. Roger Glover est un excellent bassiste, un producteur reconnu, il a vendu des millions d’albums. Il fait partie des musiciens importants de Vigier.
Vu le nombre de modèles du catalogue Vigier, la part de création d’instruments est-elle encore importante ? Cela dépend des périodes. Parfois nous pouvons être plus créatifs, mais en ce moment nous sommes dans une période où il faut rationaliser ce que l’on crée. La création, c’est une chose, mais au final, il faut que toutes les guitares soient bonnes. Et cela demande beaucoup de temps, peut-être que la création en elle-même.
Pour finir, si tu devais présenter la marque Vigier à quelqu’un qui ne la connaît pas, quels modèles mettrais-tu en avant pour cela ? Cela dépend des générations. Celle des années 80 va citer la série Arpège, celle d’aujourd’hui les Excess et entre les deux il y a la série Passion. C’est difficile… Personnellement, et je ne parle pas en tant que guitariste, il y a un modèle qui me tient à cœur, la G.V., parce qu’il porte le nom de mon père. C’est un hommage. Mais tous les modèles ont quelque chose de différent, il faut savoir fouiner…